Guerre en Ukraine : que sait-on du missile hypersonique russe que les Ukrainiens disent avoir abattu ?

May 12, 2023
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Deux Mig-31 transportant des missiles Kinjal survolent la place Rouge à Moscou, le 9 mai 2018. KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

C’était censé être l’une des « nouvelles armes stratégiques » promues par Vladimir Poutine pour proclamer « une ère de triomphe exceptionnelle pour la Russie ». Le 1er mars 2018, deux semaines avant l’élection présidentielle qui allait lui conférer un quatrième mandat, le président russe annonçait six nouvelles armes de « nouvelle génération » censées surpasser tout système de défense au monde. Cette nouvelle panoplie comptait trois missiles hypersoniques : le Zircon, l’Avangard et le Kinjal.

Quatre ans plus tard, en mars 2022, l’aviation russe utilisait pour la première fois le Kinjal contre l’Ukraine pour cibler un entrepôt souterrain, Sergueï Choïgou, le ministre de la défense russe, affirmant alors que le fameux missile volerait « à une vitesse supérieure à Mach 10 » et serait « capable de modifier sa trajectoire en cours de route dans les plans à la fois verticaux et horizontaux ».

Mais un article paru vendredi 6 mai sur le site ukrainien Defense Express a jeté un froid sur la réalité des ambitions russes. Le site a annoncé que les forces armées ukrainiennes ont intercepté au-dessus de Kiev un missile hypersonique russe, un Kh-47 « Kinjal ». Dans la foulée, il a publié les premières photos de ce qu’il présente comme les restes dudit missile, évoquant le rôle des Patriot américains dans l’interception de la nouvelle arme stratégique.

« Evénement historique »

Du côté ukrainien, après quelques heures de flottement, le général Mykola Olechtchouk, commandant des forces aériennes, a fini par confirmer l’information : « Je félicite le peuple ukrainien pour cet événement historique. Oui, nous avons abattu le missile Kinjal, “qui n’a pas d’équivalent” », ajoute-t-il, faisant directement allusion aux propos tenus par Sergueï Choïgou en mars 2022. L’armée de l’air ukrainienne précise que le missile a bien été abattu par un système de défense Patriot au-dessus de Kiev vers 2 h 30, heure locale, jeudi 5 mai.

Pendant des mois, l’Ukraine a réclamé ces systèmes de défense antiaérienne. En décembre, lors de son voyage à Washington, le président ukrainien avait déclaré que le dispositif allait renforcer « de manière significative » la défense ukrainienne face aux frappes russes. Vladimir Poutine avait répondu du tac au tac, assurant que l’armée russe trouverait un « antidote ».

Après des mois de formation aux Etats-Unis, les Ukrainiens ont finalement réceptionné leur première batterie de Patriot à la mi-avril. Le site spécialisé The Drive rappelle qu’avant leur arrivée les défenses antiaériennes ukrainiennes n’avaient pas la capacité de contrer le Kinjal, l’Iskander ou les S-300 SAM utilisés contre des cibles au sol.

Confirmation américaine

La séquence marque un changement de discours du côté américain : depuis l’annonce par Vladimir Poutine de ces nouveaux missiles hypersoniques, Washington faisait profil bas. Devant la Commission des forces armées du Sénat américain, le général John Hyten, commandant du commandement stratégique de l’armée de l’air américaine, avouait (page 14 de sa déposition) en mars 2018 son impuissance : « Nous ne disposons d’aucune défense qui pourrait empêcher l’utilisation d’une telle arme contre nous. »

Quelques jours avant l’exploit déclaré de la défense antiaérienne ukrainienne, des responsables américains, cités par le Congressional Research Service, affirmaient encore que « les systèmes radars existants sont insuffisants pour détecter et suivre les armes hypersoniques ».

Mais, le 9 mai, le général américain Pat Ryder a confirmé, sans « entrer dans les détails », « que les Ukrainiens avaient abattu ce missile russe à l’aide d’un système de défense antimissile Patriot ».

Comment la défense ukrainienne a-t-elle pu intercepter le Kinjal ? Dominika Kunertova, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, avance une explication : « Le Kinjal hypersonique n’est pas une technologie révolutionnaire. En fait, il s’agit d’un missile balistique légèrement modifié qui vole un peu plus vite parce qu’il est lancé par un jet supersonique. » Mais, selon elle, « sans doute le Kinjal est-il une arme de propagande, sans utilité militaire à valeur ajoutée ».

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A bien y regarder, le Kinjal n’est effectivement pas vraiment une nouveauté dans l’arsenal russe. Le site russe Forum Airbase le décrit comme un système d’armes reposant sur vecteur, un intercepteur MiG-31K (ou un bombardier Tu-160M ou Tu-22M3) et un missile 9-С-77604. Ce dernier est dérivé du missile 9M723, qui est la base du missile balistique 9K720 Iskander, entré en service depuis le début des années 2000 – tiré depuis un « tracteur-érecteur-lanceur » –, se déplaçant à une vitesse hypersonique de 2 100 à 2 600 m/s (Mach 6-7), déjà utilisé contre des cibles en Ukraine.

La Russie, elle, n’en démord pas. Moscou a attendu près d’une semaine pour réagir et apporter un démenti : une source du ministère de la défense russe, citée par l’agence Interfax, a déclaré le 11 mai que le Patriot ne peut intercepter le Kinjal.

Malgré les bombardements, Oleksii Reznikov, le ministre de la défense ukrainien, n’a pas résisté à l’envie de railler Moscou. « La propagande russe tente d’imposer le récit selon lequel les armes russes sont les meilleures au monde et “sans équivalent”. C’est une grosse erreur », a-t-il écrit sur Twitter.

Source: Le Monde