D’Adèle Haenel à Mandy Patinkin, les acteurs descendent dans l’arène sociale... et ça nous interpelle
Après Adèle Haenel annonçant choisir la lutte sociale plutôt que le cinéma, une vidéo de l’acteur américain Mandy Patinkin lors d’une manif des scénaristes a fait le tour du Web. Deux images fortes, qui racontent une crise des représentations.
Le comédien américain Mandy Patinkin (Saul Berenson dans « Homeland ») délaisse son statut de star pour défendre les scénaristes en grève à Hollywood. Photo Erik McGregor/Sipa USA/SIPA
Par Caroline Veunac Partage
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Il y a quelques semaines, les images d’Adèle Haenel dans les manifs contre la réforme des retraites avaient frappé le public, avant même sa lettre à Télérama dans laquelle elle annonce arrêter le cinéma et se consacrer à la lutte sociale. Hier, d’autres images sont venues nous percuter, comme un écho aux précédentes : l’acteur américain Mandy Patinkin (connu pour le rôle de Saul Berenson dans Homeland), pancarte à la main dans la rue, en soutien aux scénaristes en grève. Il y interpelle vertement les responsables des studios : « Vous autres, vous engrangez des millions de millions, nom de Dieu, alors que les auteurs ne gagnent rien ! » Cette soufflante d’anthologie, filmée sur un portable, a enflammé la Toile. Et pour cause : il y a quelque chose de bien particulier, d’à la fois galvanisant et troublant, à voir les divinités du cinéma battre le pavé avec le commun des mortels.
Il existe, bien sûr, une tradition d’acteurs politisés, de leur sainte patronne Jane Fonda – qui se fait encore arrêter dans les manifestations pour le climat, cinquante ans après avoir posé sur un canon nord-vietnamien – à la Française Emmanuelle Béart, qui avait occupé l’église Saint-Bernard avec les sans-papiers en 1996. Au-delà des valeurs et des convictions, dans le cas des acteurs américains, dont les jobs seraient aussi menacés s’ils se retrouvaient trop longtemps en quête d’auteurs, la solidarité relève également d’un intérêt sectoriel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on a vu plus de stars de télé que de cinéma sur les piquets de grève (Adam Scott, Fran Drescher, Nathan Fillion ou Rob Lowe), leur sort étant plus lié encore à la pérennité des salles d’écriture.
Spectateurs et complices ?
Mais au-delà de la vieille notion d’artiste engagé, il y a quelque chose de plus diffus, d’ordre sémiologique, dans ce que racontent ces images de notre monde en crise. Voix qui porte, présence physique, regard habité : dans ces vidéos, Adèle Haenel comme Mandy Patinkin − dont on ne doute pas une seconde de la sincérité – semblent mettre leur qualité d’acteurs au service d’une cause bien réelle. Si ces images sont si fascinantes, c’est qu’on y voit se superposer deux registres, celui de la fiction et celui de la réalité, et par là se faire jour la tension symbolique qui se joue au cœur de nos sociétés.
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Le cinéma, conçu comme usine à rêves et boîte à évasion, globalisé par les plateformes, est-il encore légitime quand l’urgence sociale est si forte ? Est-il acceptable que les stars touchent autant d’argent pour jouer dans des films et des séries ? Et nous, spectateurs-consommateurs, sommes-nous complices d’un système intenable ? Ce sont ces questions inconfortables qui sont posées en filigrane. Jusqu’à présent, les acteurs avaient coutume de s’engager d’abord par le choix de leurs rôles à l’écran (il y a quelques années, Mandy Patinkin avait d’ailleurs confié ses regrets d’avoir « sali [son] âme » en jouant dans le polar violent Esprits criminels). Mais la réalité est aujourd’hui si pressante qu’elle semble les sommer, et nous avec, de choisir d’abord celui qu’ils vont tenir dans la vie.
Source: Télérama.fr