" Grève " d’Adèle Haenel : " Se couper du cinéma pour plonger dans la radicalité n’est sans doute pas le moyen le plus efficace pour mener son combat "
Au moment où le cinéma va mieux, avec un public revenant en force dans les salles et un Festival de Cannes qui pointe son nez, Adèle Haenel casse l’ambiance en déclarant, à 34 ans, se retirer du cinéma. Surtout, en accusant le milieu d’être sexiste, raciste, pourri de l’intérieur et responsable d’une planète meurtrie à l’extérieur. La charge est si violente qu’elle tétanise. Et interroge sur la branche où l’actrice a décidé de se percher.
Télérama, qui a bien senti le coup, se demandait pourquoi Adèle Haenel ne tournait plus depuis quatre ans. L’actrice a répondu par un courrier, publié le 9 mai, dans lequel, non sans emphase, elle ne dit pas aux gens de cinéma « je vous quitte » mais « je vous annule de mon monde ».
Le déchaînement de haine sur la Toile et les réactions effervescentes dans les médias contrastent avec l’absence de réactions de personnalités célèbres du cinéma français. Le silence fut le même, il y a un an, quand l’actrice confiait, déjà, qu’elle arrêtait le cinéma au journal italien Il Manifesto (29 avril 2022) et au magazine culturel autrichien FAQ (mai 2022). Au second, en un long et stupéfiant entretien, elle disait pourquoi : « L’industrie cinématographique est absolument réactionnaire, raciste et patriarcale. »
On comprend la gêne face à une personne qui généralise à ce point, ne trie pas dans le panier de linge sale. Même les sympathisants se font discrets devant une radicalité incontrôlable, hormis l’actrice Noémie Merlant, confiant à Télérama : « Je suis très admirative de son chemin, que personnellement je n’arrive pas à prendre. »
Le combat intersectionnel
La rupture a sans doute germé en 2019, quand, dans Mediapart, Adèle Haenel accusait le cinéaste Christophe Ruggia de l’avoir agressée sexuellement à 12 ans, et elle s’est concrétisée aux Césars de 2020, quand elle a quitté la salle au moment où Polanski fut récompensé. Se lever, c’était déjà abandonner le cinéma. Y compris le sien, celui d’auteur, qu’elle a jugé également gangrené. Prévue au générique de L’Empire, de Bruno Dumont, elle a renoncé, confiant ceci à FAQ : « Derrière une façade amusante, on défendait un monde sombre, sexiste et raciste. J’ai cherché à discuter avec Dumont, car je pensais que ce n’était pas intentionnel. C’était intentionnel. »
Les études montrent que les métiers du cinéma, jusqu’à celui de réalisatrice, se féminisent lentement mais sûrement. Adèle Haenel voit les choses autrement. Pour elle, le cinéma n’est qu’un symptôme d’une violence mondialisée envers les femmes, les pauvres, les minorités. Aussi, pour changer le cinéma, faut-il d’abord « renverser le capitalisme ».
Il vous reste 56.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source: Le Monde