Tunisie : après l’attaque d’une synagogue à Djerba, l’inquiétude du secteur du tourisme

May 12, 2023
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Sur l’île de Djerba, le 11 mai 2023. FETHI BELAID / AFP

Dans les rues du quartier juif de Djerba, Nathalie et ses amis mangent une dernière brick avant d’aller à l’aéroport pour regagner la France vendredi 11 mai. « On a décidé d’avancer notre date de retour à Marseille », regrette-t-elle. La fidèle venue pour le pèlerinage de la Ghriba a été très affectée par l’attaque survenue mardi soir contre la synagogue de l’île et qui a fait cinq morts, dont trois membres des forces de sécurité. L’une des victimes civiles, Benjamin Haddad, faisait partie de la communauté juive de la cité phocéenne, tout comme elle. « On est tous traumatisés. L’année prochaine, avant de venir, on y réfléchira à deux fois. »

Un peu plus loin, la famille Farhi a décidé de venir visiter l’édifice religieux, estimant faire acte de résistance. « Il ne faut pas céder à la terreur, jamais. Sinon, c’est donner raison » aux terroristes, explique Léa Farhi, dont c’est le premier séjour sur la terre de ses parents. Bien qu’ayant eu « beaucoup de peine », elle préfère ne pas rester cloîtrée à l’hôtel. « On nous a rassurés sur la sécurité sur l’île », précise-t-elle.

Dès le lendemain de l’attaque, les autorités tunisiennes ont débuté une opération de communication afin de tenter de ne pas ternir l’image de marque de Djerba, haut-lieu du tourisme tunisien. L’usage du terme « terroriste » a ainsi été soigneusement évité. « L’ensemble des intervenants continuent d’œuvrer afin d’assurer la réussite de la saison touristique et de garantir les meilleures conditions d’accueil et de séjour aux visiteurs », a déclaré le ministre du tourisme, Mohamed Moez Belhassine au cours d’une réunion de crise qui s’est tenue mercredi au matin. Le ministre a aussi fait le tour des hôtels pour échanger avec les pèlerins, encore sous le choc.

Image de marque

Plus tard dans la journée, le président Kaïs Saïed a pris la parole pour estimer que l’assaillant – qui a été tué par les forces de l’ordre – avait tenté de « déstabiliser le pays » et de « saboter la saison touristique ». Il a réaffirmé que la Tunisie était un « pays sûr ». En face, certaines voix s’élèvent pour dénoncer une campagne de communication hâtive, en décalage avec le deuil de la communauté juive.

« C’est un acte terroriste et antisémite, [le tueur] ne s’est pas attaqué à un hôtel ou une plage mais bien à une synagogue, estime Yamina Thabet, présidente de l’Association tunisienne de soutien des minorités. Mais la priorité des autorités est la saison touristique, la seule visite officielle sur l’île après l’attaque a été celle du ministre du tourisme, ça en dit long sur le manque de respect pour les victimes. »

A Djerba, la communication gouvernementale reflète pourtant bien l’inquiétude locale. « Je comprends l’attitude des autorités mais je comprends aussi l’incompréhension de ceux sous le choc face à cette communication, tempère Mohamed Jerad, directeur général de l’hôtel Radisson Blu de l’île. Le ministre était dans son rôle car nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à nous battre pour la saison touristique et pour toutes les personnes qui dépendent de ce secteur sur l’île. »

A Djerba, près d’un emploi sur deux est directement lié au tourisme, selon la fédération régionale de l’hôtellerie. Au cours des dix dernières années, le secteur a connu de grandes difficultés. D’abord suite à la révolution de 2011 qui a chassé le président Zine El-Abidine Ben Ali du pouvoir qu’il occupait depuis presque vingt-quatre ans, puis à cause de la série d’attentats qui a frappé le pays en 2015 et 2016, enfin lors de la pandémie du covid-19.

« Mauvais souvenirs »

Au bord de la piscine du Radisson Blu, Joséphine et Jeannette, deux touristes suisses ont appris la nouvelle de l’attaque, commise à quelques centaines de mètres, à la télévision. Cela n’a pas changé grand-chose et Jeannette, dont c’est la troisième visite sur l’île, se verrait bien revenir. Mais la professeur de yoga a peur que ses clients hésitent désormais à venir en stage à Djerba.

« Ça nous rappelle des mauvais souvenirs », estime quant à lui Faouzi Sfaxi, un vendeur d’objets d’artisanat dans la ville de Houmt Souk, faisant lui référence à l’attaque qui avait déjà frappé la synagogue de la Ghriba en 2002, tuant 21 personnes dont une majorité de touristes allemands. Comme les autres vendeurs du marché, il scrute avec attention l’affluence dans les ruelles de la vieille ville. « Les touristes continuent de venir, de sortir, observe-t-il. Espérons que cela ne change pas. »

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Jelel Henchiri, président de la Fédération régionale de l’hôtellerie pour le sud-est de la Tunisie, comprend les critiques vis-à-vis de la communication gouvernementale mais estime qu’il y a de « mauvaises interprétations » : « Il ne faut pas que la vie s’arrête après les attaques. Continuer de travailler, continuer de vivre, c’est aussi une manière de répondre aux auteurs de ces tueries. »

Source: Le Monde