Pour l’écrivain turc Orhan Pamuk, " Erdogan a tout gâché au cours des quatre ou cinq dernières années "

May 13, 2023
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L’écrivain turc Orhan Pamuk, à la Fondation Hugot du Collège de France, à Paris, le 11 mai 2023. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

L’écrivain turc, prix Nobel de littérature en 2006, Orhan Pamuk est en France pour donner une série de conférences au Collège de France. Le thème en est le « paradoxe du romancier », qui l’amène à sonder, aussi, certains paradoxes de son pays, à l’approche des élections du 14 mai, un scrutin marqué par le fait qu’il pourrait ne pas être emporté haut la main par le président Erdogan, pour la première fois depuis deux décennies.

En quoi la Turquie a-t-elle changé au cours des vingt dernières années ?

Il y a eu une immense croissance économique, mais le changement qui s’est produit pendant cette période n’a pas été homogène. Les Turcs ont pu consommer plus, profitant même, dans la première décennie du pouvoir d’Erdogan, non seulement de ce boom économique, mais aussi de libertés. Leur parole n’était pas restreinte mais respectée. Cependant, au cours des dix dernières années, tout cela a été inversé. Au final, le changement se résume à zéro. Certains experts socio-économiques disent que, par rapport à d’autres nations, la Turquie a décliné.

A quel moment s’est opéré ce renversement ?

Je pense qu’il y a eu deux tournants : l’un a été la tentative de coup d’Etat militaire [le 15 juillet 2016] à laquelle les Turcs ont bravement résisté lorsqu’ils sont descendus dans la rue. Cet événement a rendu le parti au pouvoir [AKP, Parti de la justice et du développement] et Erdogan très agressifs. Le coup d’Etat militaire était inacceptable, et le peuple turc ne l’a pas accepté. Ce fut aussi une grande opportunité « accordée par Dieu » au pouvoir, comme l’a dit Erdogan. Il a abusé de cette opportunité en verrouillant la liberté d’expression, en mettant des milliers de personnes en prison et en se transformant en dirigeant solitaire et tout-puissant.

Le second tournant est la révision de la Constitution [en 2017], destinée à concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Cela a malheureusement été soutenu d’abord par le peuple turc, parce que les gens lui faisaient confiance. En devenant un dirigeant tout-puissant, il a marginalisé des personnalités pro-occidentales, raisonnables, éduquées et sages. Il ne les a pas écoutées [notamment sur le plan économique], c’est pourquoi, au cours des cinq dernières années, les Turcs se sont appauvris. En Anatolie centrale, les conservateurs le soutiennent toujours, mais comment peuvent-ils encore l’aimer s’ils mangent moins d’oignons et de tomates à cause de l’inflation ? Il est conscient de cela.

Le parti d’Erdogan, l’AKP, portait-il un projet de transformation de l’économie et de la société ?

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Source: Le Monde