Le double langage diplomatique de la Chine
Officiellement, l’incident est clos. Pékin a recadré, lundi 24 avril, son ambassadeur en France, Lu Shaye, qui avait déclenché une vive émotion par des propos particulièrement controversés tenus trois jours plus tôt lors d’un entretien sur la chaîne de télévision LCI. Parfait exemple d’une diplomatie offensive, dirigée contre les pays occidentaux, que le président Xi Jinping se garde de désavouer, le « loup guerrier » réputé pour ses déclarations fracassantes n’avait pas fait, il est vrai, dans la demi-mesure.
Non content de remettre en cause la souveraineté ukrainienne sur la Crimée, pourtant parfaitement conforme au droit international, l’annexion unilatérale par la Russie en 2014 n’ayant jamais été reconnue, pas même par Pékin, l’ambassadeur avait également dénié aux pays issus de l’éclatement de l’ex-URSS le statut de « pays souverain ». Un tollé prévisible s’était ensuivi.
La Lituanie, aux prises avec Pékin depuis l’ouverture d’un bureau de représentation à Taïwan, que le régime chinois jure de rattacher par tous les moyens à la Chine continentale, s’est sentie visée, comme les autres Etats baltes. Mais cette déclaration aussi péremptoire qu’incendiaire a suscité également le trouble bien plus à l’est, parmi les républiques d’Asie centrale que Pékin courtise, profitant de l’affaiblissement de Moscou, enlisé dans la guerre qu’il a provoquée. Le rétropédalage chinois n’en était qu’encore plus impératif.
Les déclarations du diplomate ont été rétrogradées, lundi, par son ministère, à « une expression de points de vue personnels », et Pékin a rappelé qu’il « respecte le statut d’Etat souverain des républiques » nées après 1991. « La Chine respecte la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays et soutient les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies », a tenu à ajouter le ministère chinois.
Axe révisionniste
Survenant après l’émoi suscité par des déclarations intempestives du président de la République française, Emmanuel Macron, qui avait donné l’impression d’épouser la ligne de Pékin sur Taïwan, la sortie du diplomate chinois a illustré la vanité du projet d’éloigner la Chine de la Russie. Le recadrage du ministère chinois ne lève d’ailleurs pas les ambiguïtés de Pékin, qui assure placer les principes de la Charte des Nations unies au cœur de la diplomatie qu’il entend promouvoir tout en se gardant de les appliquer à l’Ukraine, pourtant cas d’école d’une souveraineté et d’une indépendance bafouées.
Ce deux poids deux mesures pèse sur la crédibilité de la Chine quand cette dernière se dit prête à « continuer à travailler avec la communauté internationale pour apporter [sa] propre contribution à la promotion d’un règlement politique de la crise ukrainienne », comme elle l’a encore rappelé lundi. Après des propositions de règlement du conflit abusivement présentées comme constitutives d’un plan de paix, force est de constater que Pékin adopte jusqu’à présent des positions parfaitement adossées aux intérêts russes.
Cet axe révisionniste ne fait pas mystère de ses intentions de remettre en cause ce qu’il reste d’un ordre mondial jugé trop favorable aux pays occidentaux. L’alternative, que cela soit dans la version maximaliste du « loup guerrier » en poste à Paris comme dans sa forme moins abrasive dispensée à Pékin, consacre le rapport de force dans son acception la plus brutale. Ce choix ne peut que nourrir l’inquiétude.
Le Monde
Source: Le Monde