En Israël, le retour des fantômes de la Nakba
Les clés et la photo de mariage d’Ebthaj Dawl, réfugiée palestinienne de la Nakba, chez elle à Gaza, le 7 mai 2023. MAJDI FATHI / NURPHOTO VIA AFP
L’homme à la grosse moustache blanche secoue la tête : « Je n’en ai parlé à personne. » Pas même à sa femme ?, lui demande le réalisateur derrière la caméra. Pour « lui dire quoi, que j’étais un assassin ? », répond Amitzur Cohen, qui part dans un rire nerveux. Ce nonagénaire israélien, ancien combattant de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, témoigne dans Tantura, un documentaire de l’Israélien Alon Schwarz sorti en 2022. Il raconte le massacre perpétré dans le village palestinien éponyme, le 23 mai 1948, par la brigade Alexandroni, unité d’élite de la toute nouvelle armée israélienne. Depuis deux ans, les révélations se multiplient à propos des exactions et expulsions perpétrées par les troupes juives en 1948, lors de la création d’Israël. Un événement qualifié de Nakba, « catastrophe », par les Palestiniens qui commémorent ses 75 ans le 15 mai.
Le film de M. Schwarz s’appuie sur les témoignages de vétérans presque centenaires, de Palestiniens, ainsi que sur des enregistrements audio d’ex-soldats de la brigade, conduits à la fin des années 1990 par un étudiant de l’université de Haïfa, Theodore Katz. « La question n’est pas : est-ce que 60, 100 ou 200 personnes ont été tuées à Tantura. Ce qui est important, c’est qu’il y a eu un massacre et qu’il a été effacé », souligne le réalisateur.
Il y a un peu plus de vingt ans, quand M. Katz déterre ces fantômes, des vétérans de la brigade Alexandroni le poursuivent en diffamation. Sous pression, il rédige un texte dans lequel il nie l’existence du massacre, son diplôme lui est retiré. Alon Schwarz a réalisé son film « avant tout pour une audience israélienne », qui demeure éduquée selon le « roman national » de la guerre d’Indépendance de 1948 contre ses voisins arabes. Cette histoire passe sous silence la Nakba : la moitié des Palestiniens (près de 750 000 personnes) ont été expulsés ou ont fui les opérations des milices juives puis de l’armée israélienne, dès la fin de 1947, devenant des réfugiés.
Lire aussi la tribune d’Ilan Pappé (2002) : Article réservé à nos abonnés Telle est « l'affaire Katz » Ajouter à vos sélections Ajouter à vos sélections Pour ajouter l’article à vos sélections
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Mémoire officielle bousculée
Le documentaire de M. Schwarz s’inscrit dans une série de révélations qui bousculent la mémoire officielle israélienne : des travaux d’historiens, dont le quotidien de gauche Haaretz ne cesse de rendre compte. Ce film a été diffusé par l’un des grands réseaux israéliens. Mais il est passé assez inaperçu dans l’opinion publique, qui paraît avoir assimilé ces faits, sans pour autant souhaiter en débattre ni les reconnaître tout à fait. « Tout le monde a peur de la Nakba, même en Europe, les diffuseurs disaient que c’était polémique », remarque M. Schwarz.
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Source: Le Monde