" Le macronisme n’est pas violent par hasard "

May 15, 2023
65 views

On dit beaucoup de mal d’Emmanuel Macron à propos du passage en force de la réforme des retraites, mais on oublie qu’il est l’homme de la situation, dont la fonction historique aujourd’hui consiste à poursuivre un projet qui le dépasse. Expliquer l’impasse du pouvoir actuel par l’occasion qu’offre la Ve République de recourir à des moyens non conformes au libéralisme politique ne suffit donc pas : le 49.3 n’est ici que l’arme générique d’une guerre à la fois plus spécifique et plus large, comme le sont d’ailleurs les forces policières et leurs usages immodérés de la violence.

Il est urgent que l’on comprenne bien en quoi le néolibéralisme, à ne pas confondre avec la non-intervention de l’Etat, est la pratique gouvernementale d’une guerre civile contre la démocratie, au sens où Michel Foucault avançait que « la guerre civile est la matrice de toutes les luttes de pouvoir, de toutes les stratégies du pouvoir ».

Le néolibéralisme est né au tournant des années 1930 avec l’objectif de mettre en place un ordre politique qui garantirait les « libertés économiques ». Il fallait « rénover le libéralisme » en faisant de l’Etat la membrane protectrice de la concurrence marchande, la politique du laisser-faire des libéraux classiques et leur doctrine de l’Etat minimal ayant échoué à préserver le marché du dangereux désir d’égalité des masses.

Dès le départ, les thuriféraires du néolibéralisme ont ainsi explicitement identifié l’un des principaux problèmes qui menaçaient leur projet de fluidification du marché par l’Etat : la démocratie, toujours susceptible de mettre en danger le fonctionnement du marché. Leur stratégie politique, qui trouve ses racines dans une démophobie profondément réactionnaire, est restée invariable de Hayek à aujourd’hui. Elle consiste à neutraliser toutes les forces qui s’attaqueraient au principe de la concurrence en se prévalant de la justice sociale, dénoncée comme un mythe.

Mais est-il légitime de parler de « guerre civile » pour décrire la mise en place de l’Etat fort néolibéral contre les forces sociales et politiques hostiles au capitalisme ou simplement désireuses de plus d’égalité et de solidarité ?

L’aggravation des crises

A cet égard, l’histoire des relations entre la doctrine néolibérale et la pratique gouvernementale ne trompe pas. Dès 1927, l’économiste Ludwig von Mises (1881-1973) applaudit, à Vienne, lorsque les pouvoirs d’urgence donnés à la police pour réprimer une manifestation ouvrière firent 89 morts. Les trois Prix Nobel d’économie Friedrich Hayek (1974), Milton Friedman (1976) et James Buchanan (1986) se réunirent, à la Société du Mont-Pèlerin, un groupe de réflexion libéral, pour célébrer, en 1981, la dictature du Chilien Augusto Pinochet, au faîte de sa répression.

Il vous reste 59.15% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source: Le Monde