Guerre en Ukraine : qu’est-ce que le système de missiles Patriot, dont les performances sont vantées par Kiev et contestées par Moscou ?
Explosion d’un missile russe intercepté par la défense ukrainienne, à Kiev, le 9 mai 2023. SERGEI SUPINSKY / AFP
Alors que l’Ukraine a annoncé, à plusieurs reprises ces dernières semaines, avoir abattu, grâce aux deux systèmes Patriot fournis par les Etats-Unis et l’Allemagne, les missiles hypersoniques Kinjal tirés en salves sur Kiev, Moscou s’est lancé dans une partie de poker menteur sur les succès de ses équipements – tout en mettant en doute l’efficacité des défenses ennemies.
Dès le 11 mai, le ministère de la défense russe clame, en réponse au satisfecit de Kiev, que le Patriot n’est pas capable d’intercepter le Kinjal. Mercredi 17 mai, la même source affirme même que, selon « des informations fiables et confirmées, le système de missiles hypersoniques Kinjal a frappé et complètement détruit une station radar ainsi que cinq lanceurs du système de missiles sol-air Patriot ».
Ces allégations, reprises à l’envi par la presse russe, ont été rapidement écartées côté ukrainien. Iouri Ihnat, le porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne, a appelé à « ne pas s’inquiéter du sort du Patriot », expliquant qu’il est « impossible de détruire un système Patriot avec un seul Kinjal ». Washington a ensuite tenu la même ligne. L’occasion de revenir sur l’origine et le fonctionnement du système de missiles américain.
Qu’est-ce que le Patriot ?
Conçu à la fin des années 1960, le système Patriot a été développé par la firme Raytheon. Son nom vient de la partie radar du système d’armes : il s’agit de l’abréviation de Phased Array Tracking Radar to Intercept On Target (radar de poursuite pour l’interception de cibles). A l’origine, le Patriot tirait des missiles MIM-104, un missile sol-air à moyenne portée développé pour intercepter les avions volant à haute altitude ; il a été amélioré pour devenir un système de défense antimissiles.
Dans une note d’information publiée en début d’année, le Congressionnal Research Service, l’agence fédérale américaine dépendant du Congrès qui fait de la recherche sur les politiques publiques, livrait une description précise du système Patriot, en s’appuyant sur les informations fournies par l’OTAN et Raytheon.
Selon le texte, une batterie de Patriot comprend un générateur qui alimente la batterie, un radar qui assure la détection et le suivi des cibles ainsi que la conduite de tir, des brouilleurs, une station de contrôle qui calcule les trajectoires et encadre le tir des missiles, les stations de lancement – en général quatre – avec quatre missiles PAC-2 ou seize missiles PAC-3. Une batterie de Patriot est servie par environ 90 soldats et peut être dispersée sur une surface de plusieurs kilomètres carrés au sol, ce qui rend improbable la destruction d’une batterie par un seul missile.
Les missiles PAC-2, d’une portée de 160 kilomètres, utilisent une fusée de proximité, qui explose à côté d’un missile à intercepter. Le PAC-3, d’une portée de 40 kilomètres seulement, mais plus précis (grâce à un radar embarqué) a été conçu pour intercepter et détruire les missiles selon le principe « hit to kill » (frapper pour tuer), en entrant en collision avec sa cible. Les batteries sont généralement déployées avec cinq à huit lanceurs équipés d’un mélange de missiles PAC-3 et de missiles PAC-2.
Selon CNN, qui cite des responsables de la défense et des membres du Congrès, l’Ukraine a aussi utilisé le système Patriot pour abattre au moins un avion de chasse russe volant loin du front. L’aviation russe reste généralement derrière les lignes russes, ce qui la rend difficile à abattre par les batteries de missiles sol-air Nasams utilisés par l’Ukraine, dont la portée est plus courte.
Un système à un milliard de dollars
Des militaires polonais à côté d’un lanceur de missiles Patriot, à l’aéroport de Babice (Pologne), le 7 février 2023. JANEK SKARZYNSKI / AFP
Le Center for Strategic and International Studies (CSIS) estime qu’une batterie de Patriot coûte environ 1,1 milliard de dollars : 400 millions de dollars pour le système, 690 millions de dollars pour les missiles – le prix d’un missile à l’unité est évalué à 4,1 millions de dollars (3,80 millions d’euros).
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Dominika Kunertova, chercheuse au centre des études de sécurité de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, estime que « le système Patriot apporte une contribution significative et rentable [« cost-effective »] aux capacités de l’Ukraine : ses interceptions sont moins chères que les Kinjal russes, dont le prix à l’unité est évalué à 10 millions de dollars ».
Elle ajoute qu’il faut prendre avec précaution les affirmations de l’Ukraine selon lesquelles tous les missiles russes, y compris les missiles Kinjal, seraient interceptés par la défense antiaérienne. « Les Ukrainiens doivent absolument affirmer qu’ils ont réussi à abattre tous les missiles russes. Mais il ne faut pas oublier que les missiles russes ont des taux de fiabilité et de précision faibles – rupture en vol, erreur de navigation, missiles qui n’explosent pas à l’impact – ce qui peut contribuer à notre surestimation du succès de Patriot », analyse-t-elle.
Un déploiement depuis la première guerre du Golfe
Considéré comme l’un des meilleurs dispositifs de défense antiaérienne des armées occidentales, le Patriot a été déployé pour la première fois pendant l’opération Tempête du désert, lors de la première guerre en Irak (1990-1991), pour protéger Israël et l’Arabie saoudite contre les Scud de fabrication russe utilisés par l’armée de Saddam Hussein.
Leur efficacité a fait l’objet d’une vive controverse. Le 25 février 1991, un Scud frappe un cantonnement américain à Dhahran, en Arabie saoudite, tuant vingt-huit soldats. Une enquête du Government Accountability Office met au jour une erreur du logiciel de son système de coordination. Deux chercheurs, Theodore Postol, du Massachusetts Institute of Technology, et Reuven Pedatzur, de l’université de Tel-Aviv, affirment alors que le système Patriot a eu un taux de réussite inférieur à 10 %.
Depuis, les performances du système se sont améliorées : pendant l’invasion américaine de 2003, tous les missiles balistiques tirés par l’Irak ont été interceptés par le système. Dans le même temps, l’utilisation de Patriot a été mise en cause dans la destruction de deux avions de combat : un britannique et un américain. En 2005, un rapport du département de la défense relevait que « les données sont souvent insuffisantes pour déterminer les causes exactes de la défaillance ».
Israël les a utilisés à plusieurs reprises contre des drones du Hamas, des avions de combat, et des appareils venus de Syrie. Dans le cadre de la guerre des missiles au Yémen, les Patriot utilisés par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont intercepté des missiles et drones houthistes avec plus ou moins de succès.
En décembre 2022, Volodymyr Zelensky avait dit espérer que ce système de défense antiaérienne renforcerait « de manière significative » la défense ukrainienne face aux frappes russes. En attendant, le service de communication de l’armée ukrainienne n’hésite pas à railler Vladimir Poutine, qui qualifiait le Patriot de « système assez vieux » auquel la Russie trouverait « un antidote ».
L’Ukraine veille donc précieusement sur ses Patriot. Mercredi, les services de sécurité ukrainiens ont ainsi annoncé poursuivre en justice six habitants de Kiev qui ont partagé des images de la défense antiaérienne ukrainienne sur les réseaux sociaux, lors de l’attaque contre Kiev, le 16 mai. Si leurs images ont montré la destruction des missiles, elles peuvent aussi aider les Russes en révélant les positions des équipements ukrainiens.
Source: Le Monde