A Ramat Hasharon, les fractures de la société israélienne
ReportageDes juifs fondamentalistes sèment la discorde dans cette banlieue riche de Tel-Aviv. Un concentré des déchirements provoqués par l’arrivée de la nouvelle coalition de droite au pouvoir.
Près de Ramat Hasharon, une banlieue huppée du nord de Tel-Aviv, des dizaines d’Israéliens manifestent, le 19 avril, devant la villa du principal actionnaire de la très à droite chaîne 14. Ils dénoncent « une chaîne empoisonnée. » « C’est un nid de menteurs », assure l’un des organisateurs, Benny Zweig, qui demande à l’Etat de la fermer.
Le journal du soir de la chaîne 14 occupe le second rang des audiences nationales. Ses talk-shows versent à l’occasion dans le complotisme. Un intervenant a insinué récemment que la CIA, le renseignement américain, guidait en sous-main les manifestants qui déferlent sans cesse dans les rues d’Israël depuis janvier, pour protester contre le projet de réforme de la justice du premier ministre, Benyamin Nétanyahou.
Selon les éditorialistes de la chaîne 14, la droite a beau être de retour au gouvernement depuis décembre 2022, elle n’est toujours pas au pouvoir. Ils dénoncent les « élites » qui « ont volé » les élections, vilipendent un supposé « Etat profond », peuplé de juifs ashkénazes (originaires d’Europe orientale) « globalisés », qui interdirait au « peuple » de droite de remodeler le pays à son image. Face à la coalition gouvernementale rassemblant conservateurs, ultraorthodoxes et suprémacistes juifs se dresse un pays plutôt laïque, qui se rêve en démocratie libérale occidentale – passant sous silence le régime militaire qu’Israël perpétue dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967.
Luttes intestines
Les quatre derniers mois ont porté cette guerre culturelle à l’incandescence. Mais à Ramat Hasharon, les deux camps s’affrontent sans merci depuis des années. Certains manifestants ce 19 avril luttent depuis une décennie contre le propriétaire de la chaîne 14, Yitzchak Mirilashvili. Ce trentenaire né à Saint-Petersbourg, arrivé en Israël lorsqu’il était enfant, est le cofondateur du réseau social russe VKontakte. Il est aussi le fils d’un oligarque russe, juif originaire de Géorgie, dont le magazine américain Forbes estime la fortune à 2,5 milliards d’euros. A Ramat Hasharon, M. Mirilashvili a financé l’implantation d’une colonie religieuse, qui sème la discorde dans l’une des cités les plus riches, les plus laïques et les plus marquées à gauche du pays. Cette guerre résume les luttes intestines où tout Israël s’abîme aujourd’hui.
Chanania Rachel, dirigeant du « garin torani » (« noyau de la Torah ») de Ramat Hasharon (Israël), dans la rue principale de la ville, le 19 avril 2023. JONAS OPPERSKALSKI/LAIF POUR « LE MONDE »
Chanania Rachel est un barbu avenant. Chaque vendredi soir, devant sa famille réunie autour de la table de shabbat, il convoque le souvenir de la mer, du silence dans le hameau où il est né, au Goush Katif, un « bloc » de colonies que l’armée défendait dans la bande de Gaza. Chanania et les siens l’ont quitté la mort dans l’âme à l’été 2005, comme tous les colons de l’enclave palestinienne, sous l’ordre de l’ex-premier ministre Ariel Sharon.
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Source: Le Monde