Cannes 2023 : " The Zone of Interest ", un bourreau dans son jardin

May 20, 2023
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« The Zone of Interest », de Jonathan Glazer. BAC FILMS

SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION

Jonathan Glazer, 58 ans, quatre longs-métrages à son actif, dont Under the Skin en 2013, un chef-d’œuvre où Scarlett Johansson incarnait une sculpturale extraterrestre attirant les hommes sensibles à ses charmes pour les faire disparaître à jamais dans la nuit. On attendait depuis fébrilement de ses nouvelles. Son entrée en compétition à Cannes nous en donne enfin, et elles sont excellentes, tant pour un concours qui patinait un peu jusqu’ici que pour la carrière de ce cinéaste si singulier, qui signe de nouveau, avec ce film, une œuvre d’une grande puissance, aussi intellectuelle que plastique.

L’histoire est simple, il s’agit de donner une image de la vie quotidienne de la famille Höss, constituée de Rudolf (Christian Friedel), le père, d’Hedwig (Sandra Hüller), la mère, de leurs quatre enfants, de la mère de madame, matrone germanique, et d’une servante dont la vie ne tient qu’à un fil. Car, il faut le préciser, Rudolf, technicien hors pair du meurtre de masse, est le commandant historique d’Auschwitz-Birkenau, le plus grand camp de concentration et d’extermination nazi, et sa maison avec jardin est attenante au camp.

La « zone d’intérêt » était justement, dans la langue euphémistique nazie, le périmètre qui entourait le camp. Voici donc, un jour après le nouvel Indiana Jones, le retour des nazis sur la Croisette, cette fois-ci dans un film dont la pertinence esthétique s’inscrit en lettres de feu, ou plutôt de glace, dans l’histoire, plus souvent qu’à son tour obscène, de la représentation de la réalité concentrationnaire.

On se souvient du dernier essai conséquent consacré en 2015 à cette question, Le Fils de Saul, de Laszlo Nemes, lequel fit sensation à Cannes. Son choix de réalité immersive au côté d’un Sonderkommando filmé en caméra portée ne pourrait être plus éloigné de celui opéré par Jonathan Glazer. Non pas tant parce que le premier s’attache à une victime et le second à un bourreau. Bien plutôt en raison des partis pris de la mise en scène. Nemes, aussi subjective et hallucinée soit-elle, prend le parti de la représentation du camp. Glazer, en ce sens plus lanzmanien que Nemes (quand bien même celui-ci fut défendu par l’auteur de Shoah) la refuse radicalement, et s’installe à quelques mètres de l’horreur, dans le jardin fleuri et dans la maison proprette des Höss.

L’effroi du spectateur

Il s’ensuit, pour cette raison même, un film terrifiant. Par le fond et par la forme, qui précisément s’équivalent dans un principe d’airain, celui de la plus rigoureuse distanciation. Ce rien, d’abord, que raconte le film. Un pique-nique bucolique en famille. Des transats dans un jardin. Une maison briquée, où madame reçoit ses amies. Les rapports bureaucratiques dictés par monsieur, ou le troussage d’une détenue suivi d’un nettoyage méticuleux des parties mises en jeu. Quelques détails, confinant à la plus sombre des ironies, disent tout de même de quoi il retourne. La cheminée et les baraquements de l’autre côté du muret. L’essayage par Hedwig d’un manteau de fourrure en provenance du camp. Pour une assiette mal posée, l’adresse à la servante, comme on menacerait d’un congé, qu’elle pourrait bien finir en cendres.

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Source: Le Monde