Le Ghana, poubelle de la " fast fashion " mondiale

May 20, 2023
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Sur le port de pêche d’Accra, la capitale ghanéenne, le 19 février 2023. La plage est jonchée de vêtements usagés en provenance des pays industrialisés, qui arrivent chaque semaine à Accra. JEAN-FRANÇOIS FORT / HANS LUCAS

Sur la plage de Jamestown, le parcours matinal de l’équipe de Joey Ayesu n’a rien d’une promenade de santé. A l’extrémité de ce quartier populaire d’Accra, la capitale du Ghana, il faut slalomer entre les embarcations des pêcheurs, les barquettes de polystyrène, les bouteilles en plastique et, plus encore, entre les amas de chaussures, les pantalons et les lambeaux de tee-shirt qui forment par endroits de véritables dunes où s’attardent les cochons. Un spectacle de désolation que traversent Joey et ses acolytes pour aller prélever un peu d’eau de la mer. Ces échantillons, collectés chaque semaine depuis août 2022 dans l’océan (le golfe de Guinée) et la lagune, visent à évaluer la pollution causée par le débarquement massif de textiles usagés en provenance des pays occidentaux et d’Asie.

« Nous mesurons la quantité de microfibres dans l’eau, issues de tous ces vêtements en nylon ou en polyamide qui échouent sur nos plages », explique Joey en rebouchant un tube à essai. « Il y a un vrai danger pour nos métabolismes, ne serait-ce que parce que les poissons avalent ces substances et que nous mangeons les poissons », poursuit le technicien de laboratoire, responsable de la recherche écologique à la Or Foundation, l’ONG qui coordonne cette enquête, dont les premiers résultats devraient être publiés d’ici à la fin de l’année.

Fondée par une ancienne styliste américaine, Liz Ricketts, l’organisation, basée au Ghana, lutte contre la transformation du pays d’Afrique de l’Ouest en poubelle textile de l’Occident. Car, au fil des ans, celui-ci est devenu l’une des principales arrière-boutiques de la « fast fashion » mondiale, cette mode jetable et de faible qualité, subissant au passage une multitude de dégâts collatéraux. Chaque semaine y arrivent par conteneurs environ 15 millions d’articles de seconde main dont les consommateurs européens, américains, chinois ou coréens ont choisi de se débarrasser. L’essentiel de ces obroni wawu (« les vêtements de l’homme blanc mort », comme on les appelle en langue twi) est acheminé à Kantamanto, situé dans le cœur économique d’Accra, l’un des plus grands marchés d’occasion d’Afrique, pour être revendu. Ils alimentent un véritable écosystème où s’activent quelque 30 000 tailleurs et commerçants. Mais, selon les estimations de la Or Foundation, 40 % des fripes sont de si piètre qualité qu’il faut les mettre au rebut.

Un « colonialisme de déchets »

« La surproduction et la surconsommation des pays du Nord sont une boîte noire dans l’industrie de la mode, se désole Liz Ricketts. Le trop-plein est expédié ici, mais il ne s’agit ni de recyclage ni de charité : c’est un business dont le Ghana doit gérer les effets délétères sans en avoir les moyens. » Un « colonialisme des déchets » que la fondation veut mettre en lumière en emmenant à Bruxelles et à Paris une délégation de marchands de Kantamanto à partir de vendredi 19 mai. Au programme : des rencontres avec des députés et des ONG européens, avec des acteurs des filières de collecte et de tri, et diverses tables rondes, notamment lors du sommet ChangeNow, organisé du 25 au 27 mai à au Grand Palais éphémère, à Paris.

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Source: Le Monde