La bataille contre la réforme des retraites s’invite au Festival de Cannes
cannes 2023
Une manifestation contre la réforme des retraites devant le célèbre palace cannois le Carlton, vendredi 19 mai 2023.
De notre envoyé spécial sur la Croisette – Une pluie battante s’est abattue sur le Festival de Cannes vendredi, sans pour autant empêcher les "travailleurs essentiels" d'organiser une manifestation contre la réforme des retraites devant le Carlton, le palace le plus emblématique de la ville de la Côte d'Azur, prélude à un rassemblement plus important prévu dimanche.
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Ces derniers mois, la France a vécu au rythme de manifestations monstres contre la réforme des retraites, qui suscite une opposition quasi-générale dans le pays. Son adoption par le gouvernement en mars, sans vote à l’Assemblée nationale, n’a fait que renforcer une colère sociale qui inquiète jusqu’au Festival de Cannes.
Soucieuses d’éviter tout risque de débordement durant les festivités, les autorités de la ville ont interdit les manifestations dans un large périmètre autour du Palais des festivals et de la Croisette.
Les opposants à la réforme ont toutefois prévenu qu'ils ne resteraient pas inactifs pendant cet évènement, parmi les plus médiatisés au monde, considéré comme une vitrine de la France.
"Cannes, ce n'est pas seulement des paillettes et du bling-bling. Il s'agit aussi des travailleurs, des personnes sans lesquelles le festival n'aurait même pas lieu", explique Céline Petit, représentante locale du syndicat CGT.
N'ayant pas réussi à faire annuler l'interdiction de manifester devant les tribunaux, la CGT a trouvé un moyen de la contourner en organisant un petit rassemblement de travailleurs de l'hôtellerie sur un terrain privé, juste devant le porche du palace le plus connu de Cannes, qui compte parmi ses clients cette année l'icône du cinéma et chouchou du festival, Martin Scorsese.
L'utilisation de cet emplacement signifie que le rassemblement est techniquement autorisé, à condition que les manifestants – un mélange de représentants syndicaux et de travailleurs des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration – ne soient pas plus d'une douzaine.
Bravant la pluie, ils ont déployé une grande banderole avec inscrit "Non à la réforme", en grandes lettres. Le cadre prestigieux, devant l'entrée du Carlton récemment rénové, a fait son petit effet, malgré l’effectif réduit des troupes.
"Le personnel de l'hôtellerie n'a pas l'habitude de se faire entendre", souligne Ange Romiti, membre de la CGT représentant le personnel de l'hôtel Carlton. "C'est l'occasion de faire passer notre message au moment où le monde entier a les yeux rivés sur Cannes".
La manifestation a eu lieu le lendemain de la première mondiale du cinquième et dernier volet de la saga "Indiana Jones". © Benjamin Dodman, FRANCE 24
Pas de travailleurs, pas de Cannes
La réforme des retraites d’Emmanuel Macron relève l'âge minimum de départ à la retraite de 62 à 64 ans et durcit les conditions d'obtention d'une retraite à taux plein.
Les syndicats estiment que ces changements sont profondément injustes et qu'ils touchent principalement les femmes aux carrières hachées et les travailleurs peu qualifiés qui commencent leur carrière tôt et occupent des emplois physiquement épuisants – ces mêmes "travailleurs essentiels" alors mis à l'honneur lors de la pandémie de Covid-19.
Sans les 680 employés du Carlton et les milliers d'autres employés du secteur crucial de l'hôtellerie de la Riviera, "il ne se passerait absolument rien à Cannes", affirme Ange Romiti. "Mais les nettoyeurs, les portiers, les serveurs, les cuisiniers… Ce sont tous des emplois épuisants qu’il est impossible de continuer jusqu'à 64 ans".
Le gouvernement a également fait l'objet de vives critiques concernant le calendrier de sa réforme, intervenue juste après la pandémie et en période de forte inflation.
"C’était une décision malavisée et pour le moins inélégante", s’insurge Ange Romiti. "Elle n'était pas non plus démocratique", juge-t-il, déplorant le recours par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution qui lui a permis de contourner le Parlement, malgré le rejet de la réforme par une écrasante majorité de Français.
"Notre démocratie en a pris un coup. Il est important que les gens continuent à se battre et rappellent au gouvernement que ce n'est pas acceptable" conclut-il.
Inquiétudes chez les saisonniers
Pour les manifestants rassemblés devant le Carlton, la réforme des retraites menace d'exacerber les problèmes structurels d'un secteur déjà confronté à de graves pénuries.
"Les jeunes abandonnent ces professions", explique Ange Romiti. "Ils seront encore moins enclins à les exercer s'ils doivent soulever des matelas et porter des plateaux lourds jusqu’à 64 ans".
L'industrie cinématographique elle-même est confrontée à une hémorragie d'emplois, observe Mathilde, une employée du festival qui s'est rendue à la manifestation du Carlton en solidarité avec le personnel de l'hôtellerie. Elle est membre du Collectif des précaires des festivals de cinéma, qui a lancé une campagne de sensibilisation aux difficultés croissantes de l'emploi dans le secteur.
Mathilde explique que la récente diminution des allocations chômage par le gouvernement a rendu la vie impossible aux travailleurs saisonniers dont dépendent les festivals de cinéma, tandis que la réforme des retraites pénalise les travailleurs aux carrières non-linéaires.
"Cela ne vaut tout simplement plus la peine de travailler dans les festivals, et les festivals ne peuvent pas s'en sortir sans nous", regrette-t-elle.
C'est un message que la CGT a également mis en avant en menaçant de couper l'électricité pendant les 12 jours du festival, ainsi qu'à Roland-Garros et au GP de Formule 1 à Monaco, pour protester contre la réforme des retraites. Jusqu'à présent, le syndicat n'a pas mis sa menace à exécution, mais elle reste néanmoins d'actualité.
12:08 A l'Affiche à Cannes ! © France 24
Grève des scénaristes à Hollywood
Bien que souvent décrit comme un microcosme de paillettes éloigné du monde réel, le Festival de Cannes a une longue et riche histoire d'activisme social et politique, depuis ses racines liées au Front populaire jusqu'aux troubles de mai 1968, pendant lesquels une fronde de réalisateurs, Jean Luc Godard en tête, avait interrompu le festival.
Au rang des membres fondateurs de cette grande messe du cinéma figure la CGT, qui siège toujours au conseil d'administration. Elle a prévu une autre manifestation, plus importante, dimanche, cette fois-ci plus loin de la Croisette. Elle organisera également une projection du documentaire "Amor, Mujeres y Flores" (Amour, Femmes et Fleurs), datant de 1988, sur les effets ravageurs des pesticides sur les femmes travaillant dans les plantations colombiennes.
Cette année, le Festival de Cannes se déroule dans un contexte social particulièrement tendu des deux côtés de l'Atlantique, les scénaristes américains ayant déclenché au début du mois de mai une grève massive.
La Writers Guild of America, l’association professionnelle représentant les scénaristes, réclame de meilleurs salaires, de nouveaux contrats pour l'ère du streaming et des garanties contre l'utilisation de l'intelligence artificielle dans l'écriture des scénarios – une demande que les studios hollywoodiens ont rejetée.
Ce sujet s’est invité à plusieurs occasions lors des nombreuses conférences de presse organisées à Cannes, les membres du jury ayant, dès l’ouverture du festival, apporté leur soutien au mouvement de contestation.
"Ma femme participe actuellement au piquet de grève avec mon bébé de six mois, attaché à sa poitrine", a déclaré l’acteur et réalisateur américain Paul Dano, l’un des neufs jurés de l’édition 2023. "Je serai présent sur le piquet de grève quand je rentrerai chez moi".
Jeudi, Ethan Hawke a arboré sur sa chemise le slogan "Pencils Down" (Posez vos stylos) lors de la conférence de presse qui a suivi la projection de "Strange Way of Life", le western queer de 31 minutes de Pedro Almodovar, qui a reçu des critiques élogieuses.
Le lendemain, Sean Penn, acteur et militant chevronné, en a remis une couche, qualifiant la position des studios sur l'intelligence artificielle d'"obscénité humaine" lors d'une conférence de presse pour le film "Black Flies", de Jean-Stéphane Sauvaire, dans lequel il incarne un ambulancier new-yorkais.
"La première chose à faire lors de ces conversations est de changer le nom de la 'Guilde des producteurs' en 'Guilde des banquiers' pour mieux refléter la manière dont ils se comportent" s’est-il indigné. "Il est difficile pour tant de scénaristes et de personnes à travers cette l'industrie de ne pas pouvoir travailler en ce moment. J’imagine que la Guilde va devoir procéder à son examen de conscience pour voir laquelle de ses deux facettes l’emporte".
Festival de Cannes © Studio graphique France Médias Monde
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Source: FRANCE 24