Législatives en Grèce : "La question économique devrait guider le vote des électeurs"
INTERVIEW
Les Grecs se rendent aux urnes, dimanche, pour un scrutin législatif, qui sera marqué par la situation économique du pays. Décryptage des enjeux avec Filippa Chatzistavrou, professeure assistante de sciences politiques à l’Université d’Athènes.
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Dimanche 21 mai, les quelque 9,8 millions d’électeurs grecs sont appelés aux urnes pour un scrutin législatif visant à renouveler les 300 députés de la "Vouli", le Parlement hellénique, pour une durée de quatre ans.
Le Premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis, 55 ans, du parti conservateur Nouvelle démocratie, tentera de maintenir sa majorité. Mais c'est sans compter sur son principal adversaire : Alexis Tsipras, 48 ans, ancien Premier ministre, actuellement chef de l’opposition de gauche et leader du parti Syriza. En course également, le candidat du parti "Pasok" (Mouvement pour le changement ; social-démocrate) Nikos Androulakis, 44 ans.
Si les intentions de vote des derniers mois donnent une avance de cinq à sept points au Premier ministre sortant, ce dernier pourrait ne pas disposer d'une majorité absolue pour former un gouvernement.
France 24 décrypte les principaux enjeux du scrutin avec Filippa Chatzistavrou, professeure assistante de sciences politiques à l’université d’Athènes.
France 24 : Que retenir du mandat du Premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis ?
Filippa Chatzistavrou: Le gouvernement a œuvré pour que la situation budgétaire de la Grèce s'améliore malgré la pandémie. Ce qui est positif, de leur côté, c'est que la croissance du pays est en hausse. Mais cette croissance ne profite pas à la société.
Kyriakos Mitsotakis a aussi beaucoup misé sur les politiques de libéralisation de l’économie grecque, avec la mise en avant des partenariats publics et privés. Dans le secteur de la santé par exemple, il a, malgré la pandémie, fait passer des réformes visant à faciliter l’introduction des services privés dans le secteur public hospitalier.
Le gouvernement a également flexibilisé le droit du travail tant que possible, et, dans le même temps, passé des mesures qui ont rendu plus difficile la syndicalisation et découragé les syndicats de vouloir passer par des négociations collectives. Mais c’est un peu tôt pour se prononcer sur les résultats de ces mesures en ce qui concerne le chômage, sachant que la précarisation de l'emploi reste accrue. Ce qui est sûr, c’est que la question du chômage chez les jeunes est catastrophique, et beaucoup partent. Il n’y a en réalité pas eu de politiques favorables ciblées chez les catégories sociales qui souffrent, au chômage ou ayant un travail précaire. Quand on a un chômage à 12-13%, ce n’est pas un bon bilan.
Ce gouvernement a aussi beaucoup misé sur les politiques de sécurité et de l’ordre, à travers un renforcement des effectifs et la remise en circulation de corps de police mis de côté. Il y a, par exemple, la mise en place d’une police universitaire, qui n’est pas présente dans toutes les universités publiques grecques, mais dans des grandes universités d’Athènes et de Thessalonique.
En termes de politique étrangère, ce gouvernement a un positionnement pro-Otan et pro-européen. Cela s’est notamment vu depuis l’invasion russe de l’Ukraine, à travers une collaboration avec les États-Unis et l’envoi de matériel à l’Ukraine. Il y a eu l’accord stratégique franco-grec (en 2021, NDLR), ainsi qu’une coopération très soutenue avec l’Égypte et Israël – constituée sous le mandat de Georges Papandréou (Premier ministre grec entre 2009 et 2011, NDLR) avant la crise de la dette, afin de contenir l'expansionnisme régional turc en Méditerranée.
Quels sont les principaux enjeux du scrutin ?
Il y a l’enjeu économique au centre des préoccupations : l'inflation, le pouvoir d'achat, les loyers, mais aussi la question du travail, du logement, avec notamment des logements sociaux inexistants en Grèce.
Le deuxième point, c'est la construction de l’avenir de la jeunesse grecque. Les jeunes Grecs qui ont entre 18 et 25 ans ont connu un nombre très élevé de crises par rapport aux autres pays européens : la crise de la dette, le chômage, la crise des réfugiés, la montée de l’extrême droite, la pandémie, la police universitaire et, en plus, le drame ferroviaire.
Et le troisième point, c’est la question de la corruption et des scandales. Savoir si on va avoir des gouvernements qui procèderont à des écoutes téléphoniques, contrôleront la presse et les médias, faire preuve de répression ou de violence lors des manifestations...
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Alexis Tsipras a-t-il des chances de revenir en tant que chef du gouvernement ?
Les sondages donnent Nouvelle démocratie avec un avantage de 5 à 6% par rapport à Alexis Tsipras. Mais il faut prendre ces chiffres avec prudence. Il y a entre 12 et 15 % d’indécis et qui vont voter et se décider à la dernière minute. Il y a d’autres électeurs qui sont à peu près décidés mais qui vont exercer un ‘vote froid’, c’est-à-dire un vote pour un parti, mais pas avec leur cœur.
Alexis Tsipras a une stratégie consistant à rassembler tant que possible au centre et à gauche. Il a aussi accepté des députés venant d’autres bords politiques. Du coup, Syriza est un parti qui veut s’adresser à toute la société, et qui ne met pas en avant une identité de gauche radicale, qui est l’origine historique de cette formation politique. Ce qu’il essaye de faire, c’est toucher différents électorats.
C’est un réformiste modéré, qui, s’il se retrouve au pouvoir, va mettre en place toute une série de mesures sociales pour panser les plaies socio-économiques de la Grèce. Mais, en dehors de cela, je ne pense pas qu’il aura un agenda qui sera en rupture avec les grandes questions qui dominent en Grèce : sa dépendance par rapport à son modèle productif, les relations du pays avec les grandes puissances et les sphères d’influence, ou même sur le déclin de l'État social grec, qui s'est particulièrement accentué pendant ces quatre dernières années.
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Après avoir atteint un record de 42 % lors des législatives de 2019, l'abstention est-elle toujours redoutée ?
Oui, elle l’est. Pour y remédier, il y a eu des incitations faites par plusieurs partis pour que les gens aillent voter. Mais ce qui va être intéressant à observer, c’est le vote de la jeunesse. Il y a eu un changement de loi, qui va permettre aux jeunes de voter dès 17 ans.
Et les jeunes ont l’air d’être très mobilisés pour plusieurs raisons : l’histoire de la police universitaire, qui a engendré des manifestations étudiantes, ainsi que le drame du train, où beaucoup de victimes étaient jeunes.
L’abstention ne devrait pas être plus élevée que d'habitude, car il y aura un scrutin à la proportionnelle qui devrait inciter les gens à aller voter, avec l’idée que leur vote va être mieux pris en compte. Mais la jeunesse devrait être l’une des clés de ce scrutin.
La question de l’accident ferroviaire du 28 février va-t-elle peser sur l’opinion ?
La colère était très forte juste après le drame. Mais aujourd’hui, elle ne semble pas aussi forte qu’elle ne l’a été. Je pensais qu’on aurait eu beaucoup plus de mobilisations. Il y en a eu juste après le drame, mais après, tout est retombé. Il n’y a pas eu de grève, de manifestations, sauf pour le 1er mai, ce qui n'est pas nouveau.
Il n’y a pas d’oubli (de la catastrophe). Il y a une grosse blessure au sein de la société, qui a plus marqué les jeunes. Mais je dirais que les gens reviennent aux maux qui les rongent dans leur quotidien. C'est davantage la question économique qui devrait guider le vote des électeurs pour le scrutin de dimanche.
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Source: FRANCE 24