La droite républicaine face à ses démons

May 23, 2023
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Sortie affaiblie et divisée du conflit sur les retraites, la droite républicaine tente de refaire son unité autour de la question migratoire. Flanqué des deux présidents de groupe, Bruno Retailleau (au Sénat) et Olivier Marleix (à l’Assemblée nationale), le président du parti Les Républicains (LR), Eric Ciotti, a présenté dans Le Journal du dimanche du 21 mai deux propositions de loi censées résumer la nouvelle doctrine du parti. Si le but affiché n’est pas d’imposer l’immigration zéro, le tour de vis prôné n’en est pas moins spectaculaire. Il passe par une révision constitutionnelle visant à permettre la tenue d’un référendum sur la politique migratoire, à déroger à la primauté des traités et du droit européen quand « les intérêts fondamentaux de la Nation » sont en jeu ou encore à élever au rang constitutionnel le principe d’assimilation. Les deux textes seront déposés cette semaine sur le bureau des assemblées et serviront d’étendard au parti pour refuser de voter tout texte qui ne répondrait pas à ces exigences.

C’est la première fois que la droite républicaine rompt aussi ouvertement avec sa filiation européenne, alors que la France est un membre fondateur de l’Union européenne. Jamais jusqu’à présent un parti de gouvernement n’avait osé s’affranchir des traités, même si la tonalité de la campagne présidentielle menée par François Fillon en 2017 et Valérie Pécresse en 2022 avait ouvert la voie à une telle évolution. Faisant de la question de l’immigration un point de fixation, les deux candidats avaient commencé à faire de l’Europe le bouc émissaire d’une prétendue impuissance française à maîtriser les flux migratoires. La droite veut désormais s’inspirer du Danemark qui, depuis sa fronde contre le traité de Maastricht, en 1992, bénéficie d’une option de retrait qui lui permet de s’exonérer d’une partie du droit européen.

Un électorat peau de chagrin

L’offensive de LR est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans une contestation de l’Etat de droit, présenté comme un frein à la volonté populaire. Dans une longue interview au Point daté du 11 mai, Laurent Wauquiez, qui fait figure de candidat putatif de la droite à l’élection présidentielle de 2027, fustige le « coup d’Etat » que les cours suprêmes auraient, selon lui, fomenté dans les années 1970 et 1980 pour déposséder les élus de leur pouvoir de légiférer. Il met notamment en cause le pouvoir normatif de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, de la Cour européenne des droits de l’homme ou encore de la Cour de justice de l’Union européenne, légitimant la tendance à l’illibéralisme qui dévoie une partie de la droite européenne.

Pour justifier son inquiétante évolution doctrinale, la droite républicaine invoque la très forte inquiétude des Français face aux flux migratoires. Une étude menée par IFOP-Fiducial pour Sud Radio le 12 mai montre pourtant que la lutte contre l’immigration clandestine n’arrive qu’au douzième rang de leurs préoccupations, loin derrière la santé, l’inflation, le pouvoir d’achat ou encore l’éducation.

Rétréci sur un électorat peau de chagrin, incapable depuis la réélection d’Emmanuel Macron de se réinventer, LR est en réalité prisonnier de ses vieux démons. Il ne voit désormais de possibilité de survie que dans une alliance des droites dont il est tout sauf assuré de prendre la tête. Le positionnement qu’il entérine le rapproche de celui d’Eric Zemmour et ressemble à un copié-collé du projet de Marine Le Pen, qui voit une partie de ses thèses avalisée et banalisée. Si la droite républicaine ne revient pas rapidement à la raison, elle portera la responsabilité d’avoir servi de cheval de Troie à l’extrême droite en faisant de l’immigré le bouc émissaire de sa propre impuissance.

Le Monde

Source: Le Monde