Guerre en Ukraine : Non, un " nuage radioactif " ne se dirige pas vers l’Ouest

May 25, 2023
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Relayée depuis des comptes partageant des contenus prorusses, la nouvelle paraît alarmante. Et ressuscite le fantôme de la catastrophe de Tchernobyl. « Un nuage radioactif issu d’une explosion de munitions à uranium appauvri en Ukraine se dirige vers l’Europe », alerte ainsi le compte Twitter R7 Média le 22 mai, qui se présente comme le nouveau RT (Russia Today), la chaîne russe qui a fermé en janvier en France au lendemain du gel de ses comptes bancaires.

D’après ces affirmations, qui circulent depuis le 19 mai sur les réseaux sociaux anglophones ou francophones, un dépôt de munitions contenant de l’uranium appauvri a été frappé par un obus russe dans la région de Khmelnytskyi dans l’ouest de l'Ukraine. Cette frappe n’est pas forcément datée dans les publications, mais le 13 ou le 14 mai est mentionné. Pour la première, cette date apparaît en haut à gauche d’une vidéo montrant une explosion (cf. : photo de l’article), la seconde est mentionnée dans l’article de R7. L’explosion aurait libéré un nuage radioactif qui se dirigerait vers l’Europe occidentale, d’après le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev. Une dépêche de l’agence d’Etat russe, Tass, en fait état le 19 mai. Mais, en Europe, aucun capteur n’a pour l’instant détecté une pollution de ce type.

Captures d'écran de tweets relayant de fausses informations au sujet d'un "nuage radioactif" qui se dirigerait vers l'europe de l'Ouest. - Capture d'écran/Twitter

Ces munitions auraient été fournies par le Royaume-Uni à l’Ukraine, ce que dénoncent les publications. Leur explosion serait un « scandale sanitaire et écologique » qui « menace l’Europe » pour R7. L’Otan serait donc « directement responsable », s’indigne un internaute dans un tweet viral.

Le nuage radioactif contiendrait « principalement du bismuth », un élément qui n’est « pas très dangereux pour la santé humaine selon les autorités européennes et ukrainiennes », affirme l’article. « Mais est-ce vraiment le cas ? poursuit R7, selon certaines sources [non précisées] le bismuth et ses sels peuvent être dangereux pour les reins voire mortels à fortes doses » et pourraient aussi des effets néfastes sur la faune et la flore.

La publication de R7 précise que des instruments de mesure ont enregistré une forte augmentation du niveau de bismuth à Lublin en Pologne le lendemain de l’explosion.

FAKE OFF

Sous l’apparence d’informations, ces affirmations reprennent des techniques classiques de désinformation russe, mélangeant vraies et fausses informations et mettant en avant le thème du risque de l’escalade nucléaire, une stratégie dont nous parlait l’historien et spécialiste de la propagande David Colon, en février dernier.

Contacté, l’Institut national de radioprotection et de sûreté nucléaire français, qui suit de près le conflit ukrainien et publie des notes par rapport aux risques nucléaires comme à la centrale nucléaire de Zaporijie, nous a indiqué « qu’il n’y avait pas matière à faire des mises à jour par rapport aux dernières notes », car aucun nuage radioactif n’a été détecté.

La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a aussi mené ses recherches et conclu, dans une note publiée le 24 mai, que des informations non étayées sur un « nuage radioactif » circulaient sur les réseaux sociaux. Les capteurs de la Criirad en France, dans la vallée du Rhône, n’ont révélé à ce jour aucune anomalie, indique la note, une analyse plus fine sera bientôt programmée. La Criirad a aussi contacté l’Office fédéral de radioprotection allemand (BFS) qui a indiqué n’avoir détecté pour l’instant aucune trace d’isotopes de l’uranium qui auraient pu être rejetés en Ukraine.

Le bismuth 214 n’est pas associé à l’uranium appauvri

En Pologne, à Lublin, comme mentionné dans certains posts, une augmentation du niveau de radioactivité a été détectée, liée à la présence dans l’air de bismuth 214, le 15 mai. Mais explique Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la Criirad, « l’uranium naturel dans l’écorce terrestre se désintègre en donnant du radium, qui donne du radon, qui donne du bismuth 214, mais pas l’uranium appauvri. L’uranium appauvri a fait l’objet d’un traitement chimique qui fait qu’il n’est pas associé au bismuth 214. »

La présence de bismuth 214 à Lublin ne peut donc pas être liée aux explosions en Ukraine. « Il y a très régulièrement, quand il pleut, un lessivage naturel du bismuth 214 produit par le radon qui émane naturellement des sols », souligne Bruno Chareyron. D’après l’université Marie Curie-Skłodowska de Lublin qui a analysé une station située dans cette ville, les pics sont survenus pendant des périodes de précipitations et sont dus au lessivage des descendants du radon 222, dont le bismuth 214.

Pas d’anormalité détectée aux environs de Khmelnytskyi

En Ukraine, les mesures de radioactivité aux environs de Khmelnytskyi ne sont pas anormales, pointe la Criirad, qui a vérifié les données fournies par les capteurs de surveillance autour de la zone considérée. Peu après des explosions survenues à la suite de bombardements dans la nuit du 12 au 13 mai 2023 et dans la matinée du 13 mai sur une base militaire ukrainienne, les vents étaient orientés en direction de l’ouest puis du nord.

« Aucune augmentation réellement significative n’a été enregistrée par les 8 capteurs situés dans un rayon de 50 kilomètres autour de la zone, sauf pour un capteur situé à 12 kilomètres au sud-est du site », souligne la Criirad. Mais cette augmentation a commencé le 11 mai et n’était pas située sous les vents dominants, note l’association. Elle est liée à un changement du type de dosimètre ce jour-là, d’après le service hydrométéorologique ukrainien, contacté par la Criirad.

« La Russie essaie délibérément de désinformer »

Enfin, le ministère de la Défense britannique nous a confirmé que le Royaume-Uni fournira des munitions à uranium appauvri, ainsi qu’un escadron de chars de combat Challenger 2. « L’armée britannique utilise de l’uranium appauvri dans ses obus perforants depuis des décennies, souligne un porte-parole du ministère, qui n’a pas souhaité commenter les affirmations concernant les explosions à Khmelnytskyi. C’est un composant standard et qui n’a rien à voir avec les armes ou les capacités nucléaires. La Russie le sait, mais essaie délibérément de désinformer. »

Ces munitions sont une arme redoutablement efficace pour percer les blindages, mais controversée en raison des risques toxiques pour les militaires et les populations. Quels sont-ils ? Si l’uranium appauvri est environ 60 % moins radioactif que l’uranium naturel, les obus perforants atteignant leur cible produisent une poussière d’uranium ainsi que des fragments de métal. Le ministère de la Défense britannique ajoute que des recherches indépendantes menées par la Royal Society ont évalué que « l’impact sur la santé et l’environnement de l’utilisation de munitions à uranium appauvri est susceptible d’être faible ».

La toxicité chimique, le principal risque

« Le principal risque n’est pas la radioactivité, mais bien la toxicité chimique, souligne cependant la commission canadienne de sûreté nucléaire. L’ingestion ou l’inhalation de grandes quantités peut nuire au fonctionnement des reins. Si une personne inhale de grandes quantités de petites particules pendant une longue période, la principale préoccupation pour la santé sera l’augmentation du risque de cancer du poumon ».

Selon les études auxquelles l’Agence internationale de l’énergie atomique a été associée, « le risque radiologique auquel étaient exposées les populations et l’environnement n’était pas important dans les cas où la présence d’uranium appauvri avait provoqué une contamination localisée de l’environnement sous forme de petites particules libérées au moment de l’impact », souligne le bureau des affaires de désarmement de l’ONU. En revanche, « lorsque des fragments de munitions à uranium appauvri ou des munitions complètes de ce type sont découverts, les personnes qui entrent en contact direct avec ces objets pourraient subir les effets des rayonnements », concluent les Nations unies.

Source: 20 Minutes