Violences contre les généralistes : des médecins racontent ces menaces en augmentation

May 26, 2023
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Natalia Gdovskaia / Getty Images Natalia Gdovskaia / Getty Images

SANTÉ - « C’est quand il a menacé ma famille, en mentionnant mon adresse, que j’ai déposé une main courante », se souvient la docteur B.*, médecin généraliste installée dans l’Allier. Pendant deux mois, un homme l’a harcelé et menacé, parfois de mort. Sa secrétaire en était aussi victime. La raison ? « Il estimait que je n’avais pas pris assez vite un rendez-vous pour son père chez un spécialiste. » Elle a enclenché la procédure pour ne plus être la médecin traitante de cette famille. Et les menaces se sont ensuite arrêtées.

Les généralistes sont nombreux à subir des violences de la sorte. Selon un rapport du Conseil national de l’ordre des médecins publié par ce mardi 23 mai 2023, les incidents et violences contre les médecins ont augmenté de 23 % en 2022. Et les généralistes représentent à eux seuls 71 % des victimes de violences physiques et d’incidents type vol d’ordonnance ou de carte professionnelle.

Conséquences de ces agressions, la docteur B. n’était « pas rassurée » quand elle travaillait le soir - elle finit vers 21 heures. Sa secrétaire « était angoissée et avait du mal à venir au travail ». Elle déplore : « On est en première ligne, et souvent, on est seul. Il est plus facile d’agresser verbalement ou physiquement une personne seule que quelqu’un qui est entouré de plusieurs professionnels. »

« Les patients nous disent ce qu’on doit faire »

Exerçant dans une petite ville, la docteur n’aurait jamais cru que ce type d’incidents pourrait lui arriver. Selon le rapport de l’Observatoire de la sécurité des médecins, 56 % des incidents ont lieu en centre-ville, contre 21 % en milieu rural et 19 % en banlieue. Si B. juge cet incident « assez isolé », pour d’autres professionnels, ils sont plus récurrents. C’est le cas de Stéphane Attal, qui consulte dans trois villes différentes du Doubs. Au cours de ses 30 années d’exercice, il a remarqué une augmentation des agressions verbales.

« Les consultations ne sont jamais sereines. Heureusement, certaines se passent bien. Mais quand on aborde un nouveau patient, on a une certaine angoisse, avoue celui qui s’est déjà fait menacer par un homme armé d’un couteau. Les autres patients ont appelé la police. J’ai fait des arts martiaux pendant ma jeunesse, j’ai réussi à le désarmer. Il avait besoin d’un arrêt de travail pour la semaine écoulée. Mais personne n’avait constaté sa maladie. »

Les refus de prescrire un médicament ou un arrêt de travail font partie des principales causes à ces incidents, selon le rapport, et 33 % d’entre eux sont liés à un reproche sur la prise en charge. « Les patients nous disent ce qu’on doit faire, et ça les dérange qu’on ne soit pas d’accord avec eux. On est là pour exécuter les prescriptions qu’ils nous proposent. Il y a aussi des situations ou les patients ne veulent pas nous payer, liste le médecin. J’ai appris à ne plus me laisser faire. Mais je comprends qu’on puisse être impressionné et céder aux exigences de certains patients. »

« Un sentiment d’insécurité grandissant »

La docteur V.*, qui exerce dans l’est de la France, rapporte plusieurs altercations ces dernières années : « Ma collègue avait refusé de prendre une femme en tant que médecin traitante. Elle nous a ensuite harcelées. Son gendre est venu nous insulter, ma collègue et moi, de tous les noms d’oiseaux possibles, et nous menacer. On a fini par appeler la gendarmerie. Ils ne sont plus revenus. »

Elle liste d’autres incidents : cette collègue kiné agressée par un patient qui ne veut pas la payer ; cette intervention dans une campagne où elle a eu très peur ; ou encore cet homme très violent verbalement dans sa salle d’attente… Résultat, la médecin dit ressentir un « sentiment d’insécurité grandissant » et ne souhaite plus faire de gardes dans son secteur.

Lors d’une réunion avec les membres du Conseil de l’Ordre de son secteur, elle ne se sent absolument pas soutenue : « On m’a dit que j’étais ingrate de ne pas vouloir prendre ces gardes, que je n’avais pas de déontologie… Ils ont rigolé quand on a dit, avec ma collègue, qu’on avait peur. La seule solution était de déménager. » Ce qu’elle a prévu de faire en juillet prochain. Mais en attendant, « j’ai pris un taser dans mon cabinet », avoue-t-elle en référence aux pistolets à impulsion électrique vendus en libre-service.

Comment se protéger ?

Il n’existe pas beaucoup d’autres moyens pour les médecins généralistes pour se protéger. La première solution reste la communication. « On reste calme, on essaye de rassurer le patient, on explique le contexte de manque de professionnels de santé… » détaille la docteur B. Mais ça ne suffit pas toujours. Dans son cabinet, elle a fait installer une alarme directement reliée au commissariat de police.

Quant à porter plainte après une agression, certains médecins le vivent comme un échec. « Ce sont nos patients, on suit la famille, on a toute une histoire avec eux… On se dit qu’on n’a pas réussi à communiquer convenablement avec eux », indique la médecin.

Stéphane Attal aussi dit comprendre ceux qui ne portent pas plainte. « On perd du temps, on n’a jamais de retour, on ne sait pas s’il y a une enquête… J’ai déjà appelé deux fois le 17. On fait nos signalements pour dire ce qu’on a vécu. C’est remonté au Conseil national de l’Ordre. Mais ça ne sert que pour les statistiques », déplore celui qui souhaite des sanctions plus sévères contre les agresseurs. Sinon « les médecins recevront leurs patients qu’en téléconsultation, alors que le présentiel, c’est la base de notre métier ».

Avec la section locale de la CSMF - Confédération des Syndicats Médicaux Français, dont il est le président, ils ont mis en place une formation pour apprendre aux médecins à dire non à un patient et à se protéger. « C’est ubuesque mais on est obligé. J’ai fait de l’aïkido quand j’étais jeune, je ne le regrette pas. Mais s’il faut former les médecins aux arts martiaux pour qu’ils puissent exercer, ça risque d’être compliqué. »

*Ces personnes ont souhaité rester anonymes

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Source: Le HuffPost