Sans-abri de Paris : comment l’État s’est pris les pieds dans le tapis en Bretagne
Ambiguïté, secret, verticalité et impréparation. Sur la forme, tels sont les quatre péchés capitaux dont s’est rendu coupable l’État en Bretagne, avec la création du sas dédié à l’accueil de sans-abri venus de Paris, à Bruz, à côté de Rennes. Une série de fautes invraisemblable au regard de l’explosivité du sujet.
Sur le plan social, elle fait craindre aux élus un scénario similaire à Callac (22) et Saint-Brevin-les-Pins (44), où des projets d’accueil de demandeurs d’asile se sont mués en graves problèmes d’ordre public après avoir été instrumentalisés par l’extrême droite. Sur un plan politique, elle risque aussi de fragiliser encore un peu plus la position de la majorité présidentielle, à quelques semaines de la présentation en conseil des ministres du futur projet de loi immigration voulu par Emmanuel Macron.
1 Le péché d’ambiguïté
L’ambiguïté ? Pour l’apprécier, il suffit, par exemple, de comparer la communication de la préfecture d’Ille-et-Vilaine avec les termes de la circulaire ministérielle qui fixent « les lignes directrices de la prise en charge (…) des personnes mises à l’abri ». Datée du 5 mars, celle-ci a été signée par les ministres Gérald Darmanin (intérieur) et Olivier Klein (logement). Elle détaille les modalités « d’examen » de « l’ensemble des personnes orientées au sein d’un sas » afin de « qualifier leur situation administrative au regard du droit d’asile ». En clair, ces sas ont d’abord été pensés comme des centres d’hébergement et de « triage » administratifs destinés aux réfugiés errants en Île-de-France, où convergent 50 % des flux migratoires nationaux. Un objectif assumé par Sylvain Mathieu, le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) dans un article du Monde paru le 29 mars, qui a été en partie gommé des éléments de langage de la préfecture lors de la présentation du projet de Bruz mardi 23 mai.
Celle-ci met en avant l’hébergement de « personnes sans-abri venues de Paris », sans nier que des exilés figurent parmi eux. Une ambiguïté sémantique destinée « à cacher aux Bretons que 100 % des « sans-abri parisiens » sont des immigrés clandestins qui vont bénéficier d’une incroyable préférence étrangère mise en place par le gouvernement », a taclé Gilles Pennelle, le chef de file du RN en Bretagne, qui n’en demandait pas tant…
L’État cultive aussi l’ambiguïté sur les raisons qui l’ont poussé à ouvrir ces sas provinciaux avec une telle précipitation. S’agit-il de vider la misère de Paris pour ne pas ternir l’image de notre pays lors des JO de Paris ? Tous les acteurs du dossier en sont persuadés. Rio, Vancouver, Londres, Pékin… À l’échelle mondiale, cela serait loin d’être une première. Si on le croit, l’État français, lui, ne mangerait pas de ce pain-là : « Personne ne prend prétexte d‘un évènement sportif pour régler un problème humanitaire », s’est offusqué Olivier Klein sur Franceinfo jeudi. « C’est simplement la continuité du plan « Logement d’abord » lancé en 2018 », a, de son côté, déminé Matthieu Blet, le secrétaire général de la préfecture lors de la présentation du projet de Bruz.
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2 Le Péché du secret
Les élus locaux fulminent d’avoir été placés devant le fait accompli. L’État, lui, se défend d’avoir agi dans le « secret ». La preuve ? Les « nombreux articles de presse » parus sur le sujet avant son officialisation, a avancé Matthieu Blet, lors de la présentation du « sas » de Bruz.
Des articles, que l’on a bien eu du mal à retrouver, à l’exception d’un papier de 20 Minutes, daté du 3 mars, réalisé sur la seule base d’informations émanant des associations et de celui du Monde, cité plus haut. Aucun des deux ne parlait de Bruz. Autre élément factuel, aucune réunion publique n’a été organisée pour associer les habitants. Une méthode qui va à l’encontre des préconisations d’un rapport parlementaire, paru en début de semaine et révélé par Le Figaro.
Au contraire, celui-ci insiste sur l’importance de la pédagogie à mener sur ce type de projet pour éviter qu’il ne soit associé « à une démarche arbitraire de l’État », soumise à des instrumentalisations. La démarche du préfet de Corrèze, Étienne Delplanque, y est d’ailleurs saluée. Outre l’organisation d’une réunion d’information, le haut fonctionnaire a envoyé une lettre, assortie d’une foire aux questions, à tous les habitants des villages concernés par l’implantation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile dans le département. Une démarche dont l’État devrait s’inspirer, note le rapport, dont l’un des auteurs, le député de la majorité Mathieu Lefèvre, s’avère être un ancien conseiller de… Gérald Darmanin.
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3 Le péché de la verticalité
Une décision « archaïque » et « complètement verticale » prise par un « État qui considère les collectivités territoriales comme son administration supplétive ». Le politologue Romain Pasquier semble avoir bien résumé, dans nos colonnes, le sentiment qui prévaut au sein des responsables locaux. ?
Cette inclination jupitérienne s’ajoute à d’autres tensions importantes qui existent entre l’État central et des élus de plus en plus agacés d’avoir à gérer, en première ligne, le SAV de décisions qui leur sont imposées de Paris. Autre exemple récent de discorde : la mise en place du Zéro artificialisation nette (Zan). Concocté dans la loi Climat et Résilience, le Zan va imposer aux élus de réduire drastiquement la consommation du foncier, en pleine crise du logement et alors même que le président de la République insiste sur la réindustrialisation du pays. Le tout, sur la base de surfaces imposées sans concertation. « Si on continue comme ça, il n’y aura plus d’élus », confiait la maire d’une agglomération bretonne à ce sujet en début de semaine.
4 Le péché de la vitesse et de l’impréparation
« Un effort de cadre et de méthode ». C’est ainsi que Sylvain Matthieu, le haut fonctionnaire du ministère du logement chargé du dossier, présentait les sas fin mars. Deux mois plus tard, la situation sur le terrain montre que cet objectif est un vœu pieux. À peine dévoilé, le lieu privilégié par l’État pour installer le sas de Bruz se révèle pollué par des métaux lourds. Surtout, personne ne sait comment les acteurs locaux pourront absorber ce nouvel afflux dans des dispositifs d’accueil d’urgence déjà totalement engorgés. L’État assure que de nouvelles places vont être ouvertes sans préciser où et combien.
Pourtant, il serait temps. Le projet de sas breton a été dévoilé le 22 mai. Les premières arrivées de cars venus de Paris sont, elles, annoncées entre la « fin mai et début juin ». Pour tenter de tenir ce calendrier, l’État a donc évacué et relogé des personnes, hébergées dans un hôtel de Montgermont par le 115, pour libérer des places aux SDF parisiens. Vider d’un abri des personnes en danger pour en placer d’autres ? Sur ce sujet, « on observe un combo de débilités », s’agace une source proche de l’Élysée où l’on s’inquiéterait déjà d’éventuels problèmes de sécurité publique.
Source: Le Télégramme