De l’Amazonie à l’Europe, la filière brésilienne du bœuf continue d’exporter de la viande liée à la déforestation

June 02, 2023
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Bovins broutant dans un ranch à l’intérieur de la réserve biologique Nascentes da Serra do Cachimbo, au Brésil, en octobre 2019. JOAO LAET / THE GUARDIAN

JBS, Marfrig et Minerva : ces noms ne disent rien au consommateur français. Pourtant, les trois multinationales brésiliennes réalisent environ 70 % des exportations de bœuf du pays. A elle seule, en 2022, JBS dit avoir abattu en moyenne 75 000 bovins par jour, pour des clients situés dans plus de 190 pays. Cette viande de bœuf est, de loin, la première responsable de la déforestation en Amazonie. Le sujet était devenu l’une des marottes du journaliste Dom Phillips. Le correspondant du Guardian, qui avait fait du Brésil son pays d’adoption depuis 2007, avait consacré ses derniers articles à l’industrie de la viande, avant d’être assassiné, en même temps que l’expert des populations indigènes Bruno Pereira, le 5 juin 2022.

Alors que JBS s’est engagé à atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2040, Dom Phillips rappelait dans son dernier article pour le quotidien britannique, daté de mars 2021, qu’une grande partie de cet objectif pouvait être atteinte si « JBS mettait fin à la déforestation menée par ses fournisseurs en Amazonie ». Le consortium de journalistes réuni par Forbidden Stories pour poursuivre le travail du reporter révèle que, pour répondre à la demande de la Chine, mais aussi de l’Europe, les trois multinationales sur lesquelles il enquêtait prennent toujours le risque de s’approvisionner auprès de fermes responsables de déforestation.

JBS, Marfrig et Minerva ont l’obligation de s’assurer que leurs fournisseurs directs ne sont pas impliqués dans de la déforestation illégale. Mais pour masquer la véritable origine de leur bétail, certains éleveurs font passer leurs animaux d’une ferme « sale », liée à la destruction de la forêt, à une ferme « propre » – sans déforestation – avant l’abattoir. En 2020, Dom Phillips, pour le Guardian, en partenariat avec Repórter Brasil et The Bureau of Investigative Journalism, avait mis au jour un exemple concret de cette pratique de « blanchiment », et révélé une complicité entre la multinationale JBS et un éleveur sanctionné pour déforestation illégale.

« Le projet Bruno et Dom » publié en trois volets Le 5 juin 2022, le reporter Dom Phillips et l’expert des populations indigènes Bruno Pereira étaient tués dans la vallée du Javari, au cœur de l’Amazonie, au Brésil. Le consortium Forbidden Stories, qui poursuit le travail de journalistes assassinés ou menacés, et seize médias de dix pays ont uni leurs forces pour continuer leurs investigations. Après un an d’enquête, ils publient « Le projet Bruno et Dom », en trois volets, mettant au jour les réseaux de pêche illégale qui menacent les ressources et les populations indigènes, les exportations continues de viande issue de la déforestation, et la vente, sur les réseaux sociaux, de terres amazoniennes protégées.

De mauvaises pratiques qui durent

L’enquête coordonnée par Forbidden Stories, en partenariat avec les journaux qui ont exposé cette précédente histoire, ainsi que le quotidien néerlandais NRC et l’agence d’investigation allemande Paper Trail Media, dévoile que l’éleveur mis en cause dans l’enquête de Dom Phillips n’a pas cessé ses mauvaises pratiques mais a trouvé, pour écouler sa viande, un nouveau client : Marfrig.

D’une multinationale à l’autre, la viande provenant de zones déforestées peut ainsi être vendue aux consommateurs, qu’ils soient brésiliens ou étrangers. Car les abattoirs du pays exportent environ 20 % de leur viande. Environ 1 % de la production totale brésilienne finit en Union européenne et au Royaume-Uni, une part qui peut sembler petite, mais correspond à environ 100 000 tonnes par année.

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Source: Le Monde