En froid avec Washington, l'Arabie saoudite se rapproche un peu plus des BRICS
Par Richard Hiault
Publié le 5 juin 2023 à 17:11 Mis à jour le 5 juin 2023 à 17:19
Officiellement, le sujet n'est pas à l'ordre du jour. Mais le rapprochement de l'Arabie saoudite avec le club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sera probablement évoqué à l'occasion de la venue, du 6 au 8 juin, du secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, dans le royaume. La « coopération stratégique » entre les deux pays sur des questions d'ordre régionales et bilatérales est bel et bien inscrite à l'agenda. Or sur le plan stratégique, l'Arabie saoudite prend ses distances avec Washington.
La semaine dernière, au Cap, le ministre des Affaires étrangères saoudien était l'invité de ses homologues des BRICS, quelques semaines avant la tenue d'un sommet au niveau des chefs d'Etat. Des discussions sont en cours pour que le royaume intègre la New Development Bank (NDB) fondée en 2014 par les pays des BRICS sous l'égide de la Chine pour financer l'aide au développement, en concurrence notamment avec la Banque mondiale.
Comme l'a relevé mardi dernier à Shanghai son actuelle présidente, Dilma Rousseff, l'ex présidente du Brésil, les nouveaux membres au nombre desquels on recense le Bangladesh, les Emirats arabes unis et l'Egypte apporteront de nouvelles ressources à l'établissement.
Cette intégration saoudienne constituera un nouveau pas dans la direction d'une adhésion du pays au club des BRICS. D'autres candidats frappent à la porte, à l'instar de l'Iran, de l'Indonésie, de l'Algérie ou encore de l'Egypte. Les modalités de leur intégration seront abordées lors du sommet des chefs d'Etat du 22 au 24 août prochain à Johannesburg. Au total, près de 20 pays ont manifesté de telles intentions. « Les BRICS ont acquis une stature très importante dans le monde , de nombreux pays sur différents continents de notre monde cherchant à en faire partie », a ainsi déclaré mercredi dernier le président sud-africain, Cyril Ramaphosa.
Question stratégique
Alliée des Etats-Unis dans la région du Proche et Moyen-Orient, l'Arabie saoudite a multiplié récemment son souhait d'une autonomie stratégique plus grande. « Les Saoudiens ne sont pas tout aussi sûrs du soutien inconditionnel américain. Il existe à Riyad une volonté de disposer d'une politique qui ne soit plus à l'ombre des Occidentaux et des Etats-Unis », analyse Denis Bauchard, conseiller spécial pour le Moyen-Orient à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
« Ce rapprochement coïncide avec la volonté de la Russie de reprendre pied au Moyen-Orient sans oublier l'attitude offensive de la Chine dans la région », ajoute-t-il. Les Saoudiens n'oublient pas les déclarations du président américain Joe Biden, qui avait appelé à un « réexamen » des relations avec Riyad après la décision du royaume en octobre dernier d'une baisse de la production de pétrole .
L'arrimage de l'Arabie saoudite au club des BRICS renforcerait les tentatives du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) de diversifier l'économie de son pays. Ses efforts l'ont beaucoup rapproché de la Russie et de la Chine ces dernières années. « En décembre dernier, la venue du président chinois, Xi Jinping, lui a permis de participer à trois sommets différents de la région, un honneur dont seul Donald Trump avait bénéficié jusque-là », observe Denis Bauchard.
Défiance envers l'occident
Les grandes manoeuvres des BRICS témoignent d'un sentiment de défiance grandissant vis-à-vis de l'Occident et des Etats-Unis, exacerbé par la guerre illégale de la Russie contre l'Ukraine. C'est un élément essentiel mais pas unique pour expliquer une possible montée en puissance des BRICS. Les retards dans la réforme des institutions multilatérales telles que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale où les pays émergents souhaitent plus de pouvoir en sont une autre composante.
L'élargissement du club des BRICS ne sera pas si aisé. « Les grandes ambitions de MBS nécessitent des capitaux et en particulier un prix du baril de pétrole autour des 90 dollars. L'Arabie voit d'un mauvais oeil Moscou brader son pétrole sur le marché », explique Denis Bauchard. Autre souci : comment concilier les intérêts de l'Iran et de l'Arabie saoudite dans ce club? « Il peut y avoir un intérêt de la part de Téhéran de voir affluer des capitaux saoudiens dans le pays. Mais une question se pose : Riyad osera-t-elle braver les sanctions imposées contre l'Iran par les Etats-Unis ? » ajoute ce conseiller.
Source: Les Échos