Jonathan Littell : " Des hommes comme Oleg Orlov se battent pour ce que la Russie devrait être "

June 06, 2023
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« URSS 1954 : le pays vainqueur du fascisme. Russie 2022 : le pays du fascisme victorieux. » Ce slogan cruel mais juste, c’est un homme fluet, à la petite moustache et aux cheveux blancs, qui le brandit sur une pancarte, fin avril 2022, devant les tribunes tricolores dressées sous la muraille du Kremlin pour la célébration de la « victoire sur le fascisme » de mai 1945. Il s’appelle Oleg Orlov et quand il sera embarqué, quelques instants plus tard, ça sera pour la cinquième fois depuis le 24 février.

Un an plus tard, le 21 mars de cette année, Oleg Orlov, avec huit autres membres de l’organisation Memorial – qu’il a contribué à mettre sur pied à la fin des années 1980 et qui a reçu en octobre 2022 le prix Nobel de la paix [l’organisation a été dissoute par la Cour suprême de Russie le 28 décembre 2021] –, est interrogé sur la suspicion de « réhabilitation du nazisme ». Le même jour, il est inculpé pour avoir « discrédité l’armée russe de manière répétée » (une accusation passible de sept ans de prison) principalement sur la base de la publication, en français sur Mediapart, d’un texte désignant la Russie comme un Etat fasciste. Les enquêteurs du Comité d’investigation ne semblent manifestement pas avoir remarqué la contradiction entre les deux accusations.

La Russie peut-elle aujourd’hui être considérée comme un Etat fasciste ? Pour ma part, la réponse ne fait pas de doute. Mais comment, objecte-t-on, le pays successeur de celui qui a abattu le fascisme allemand pourrait-il sombrer à son tour ? Se pourrait-il que le germe ait toujours été là ? C’est ce que semblait penser le grand auteur soviétique Vassili Grossman, lorsqu’il mit en scène dans son roman Vie et destin – roman « arrêté » par le KGB, selon les propres mots de l’auteur, dès qu’il tenta de le publier en 1962 – un dialogue entre l’officier SS Liss et le militant bolchevique Mostovskoï.

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« Quand nous nous regardons, affirme Liss, nous ne regardons pas seulement un visage haï, nous regardons dans un miroir. (…) Si c’est vous qui gagnez [cette guerre], nous périrons, mais nous continuerons à vivre dans votre victoire. C’est un paradoxe : si nous perdons la guerre, nous la gagnerons, nous continuerons à nous développer sous une autre forme mais en conservant notre essence. (…) N’en doutez pas, ceux qui nous regardent avec horreur vous regarderont, vous aussi, avec horreur. »

« Utiliser la violence et la terreur »

Paroles prophétiques. Poutine et ses propagandistes clament depuis plus d’un an que l’Ukraine est dirigée par un « régime nazi », qu’il faudrait à tout prix « dénazifier » : ces mots sonnent creux, quand il est évident pour tous de quel côté se trouve le nazisme.

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Source: Le Monde