« Un vulgaire soda ! »… En France, les producteurs de cidre ne veulent pas entendre parler du « cider »

June 07, 2023
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Les Anglais ou les Irlandais le boivent au pub servi dans des pintes. Les Français l’apprécient quant à eux en bouteille pour accompagner crêpes et galettes tandis que les Espagnols, notamment dans les Asturies, le dégustent à toute occasion. Que l’on parle de « cider », de cidre ou de « sidra », cette boisson alcoolisée obtenue à partir de la fermentation du jus de pomme est présente partout en Europe. Mais, à moins de vouloir finir la tête dans un pressoir, n’allez surtout pas dire à un producteur normand ou breton que son cidre a le goût de « cider ». « Ce n’est pas du cidre, ce n’est qu’un vulgaire soda ! », lance Benjamin Benoît, gérant de la cidrerie Benoît à Lamballe.

Car c’est un fait, les différents cidres consommés dans les 27 pays de l’Union européenne n’ont pas grand-chose à voir entre eux. Derrière la dénomination « cidre » se cache une multitude de boissons plus ou moins goûteuses et bien différentes de celle que l’on produit par ici. En France, selon un décret paru au Journal officiel le 30 septembre 1953, le cidre doit être composé à 100 % de jus de pomme. Idem en Espagne. Mais dans les autres pays, la teneur en fruits est très variable. Le « cider » anglais n’en contient en effet que 20 à 25 %. C’est même pire au Danemark où la boisson n’est composée qu’à 5 % de jus de pomme, le reste étant de l’eau, du sirop de glucose et des arômes.

Les craintes d’une harmonisation par le bas

Face à cette absence de normes de production et de commercialisation du cidre sur le continent, l’Union européenne réfléchit depuis plusieurs mois à une harmonisation des règles pour définir ce qu’est un cidre ou ne l’est pas. Pas une mauvaise chose selon certains qui aimeraient bien mettre un peu d’ordre dans la filière. « C’est la cacophonie actuellement car chaque pays a ses propres règles, assure Thomas Pelletier, président de l’Unicid, l’interprofession cidricole. Cela peut donc être une bonne chose d’harmoniser tout cela. »

Le problème, c’est que les producteurs français redoutent que cette harmonisation se fasse par le bas et que cela dévalorise leur produit. « Rien n’est encore acté mais on entend parler d’une obligation de 50 % de jus de pomme minimum, souligne Yves Maho, président de la Maison cidricole de Bretagne et producteur-transformateur dans le Morbihan. C’est inacceptable pour nous ! » Pour les cidriers français, c’est 100 % de jus de pomme ou rien. « Je me vois mal expliquer que mon cidre a été coupé avec de l’eau », poursuit Yves Maho, dénonçant « le foutage de gueule » de l’Union européenne. « Sous prétexte de protéger le consommateur, on va en fait l’entuber en lui vendant un produit avec un soupçon de goût de pomme mais qui n’est en rien du cidre. »

La défense d’un savoir-faire ancestral

Si la définition change, les cidriers français craignent ainsi que des multinationales de la boisson inondent le marché français avec des sous-produits de type « cider » vendus moins cher. « Cela peut plaire à certains, indique Virginie Thomas, sommelière spécialisée dans le cidre. Mais on parle là d’un soda alcoolisé qui n’a en rien le goût et la longueur en bouche de notre cidre. »

A travers ce combat sur fond de mondialisation, les cidriers français entendent aussi défendre un savoir-faire ancestral et un produit du terroir protégé à certains endroits par des appellations. « Il n’y a pas un seul cidre qui se ressemble, assure Benjamin Benoît. Cela dépend de la terre, du climat, de la variété de pommes mais aussi de la méthode utilisée par le producteur. C’est comme le vin. »

En fine connaisseuse, Virginie Thomas espère d’ailleurs que ce débat sur la définition du cidre amorcé par l’Union européenne permettra de titiller un peu le consommateur. « Les gens n’en ont pas forcément conscience mais il y a une incroyable diversité de cidres en France, indique-t-elle. Cela aura peut-être le mérite d’éveiller la curiosité. » En attendant les conclusions de la Commission européenne, les producteurs français restent quant à eux sur leurs gardes. « Cela reste encore très flou pour l’instant mais on ne se laissera pas faire », promet Yves Maho.

Source: 20 Minutes