Dominique Carlac'h: une enfant de Castagniccia dans la course au Medef

June 07, 2023
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Originaire de Zuani en Castagniccia, Dominique Carlac'h se retrouve seule en lice face à Patrick Martin dans un duel pour la présidence du Medef, le 6 juillet prochain. Porte-parole de la principale organisation patronale de France depuis 5 ans, cette ancienne athlète de haut niveau, spécialiste du 4x100 mètres, dirigeante d'une entreprise de conseil en innovation, évoque son programme si elle est élue et ses racines insulaires qu'elle revendique fièrement dans cette campagne.

Vous briguez la présidence du Medef. Quelles sont vos motivations et quels sont, selon vous, les grands enjeux dans le domaine économique ?

Tout d'abord, je voudrais préciser que je suis issue de l'équipe sortante. Porte-parole en exercice, je ne me considère pas comme une candidate de l'opposition mais plutôt, dans une certaine mesure, comme une candidate de la continuité. Mais s'inscrire uniquement dans la logique des projets de 2018 ne suffit pas. Des crises majeures comme celle des retraites, les gilets jaunes, le Covid ou la guerre en Ukraine ont profondément impacté le monde de l'entreprise et la société dans son ensemble. Donc, le successeur de Geoffroy Roux de Bézieux, l'actuel président du Medef, devra préparer les années 2030. Ce qui signifie qu'il faudra s'intéresser aux sujets profonds qui nous touchent : le défi purement social face à une colère, une exacerbation très forte dans la population. Un rapport au travail qui a considérablement changé. La souveraineté économique française et européenne, c'est-à-dire la question de la compétitivité de notre pays et de notre continent européen par rapport au capitalisme d'État américain d'un côté et chinois de l'autre, qui devra être abordée de front par le patronat. Enfin, la place de l'entreprise dans la société qui est aussi un sujet important qui s'est immiscé depuis cinq ans.

Justement, qu'est-ce qui vous fait penser que vous pouvez incarner l'image du Medef pour les cinq prochaines années ?

En 2023, au moment où on se pose la question de la place de l'entreprise dans la société, mon élection serait un signal fort que nous sommes en phase avec les évolutions de celle-ci. Ce serait aussi un signal d'espoir aux chefs d'entreprise pour montrer la pluralité entrepreneuriale. Je suis une femme, d'origines corse et bretonne, partie de rien en créant, à 24 ans, une PME dans le Morbihan. Je ne suis pas dans le moule de ce que les gens croient être un président du Medef. Mon entreprise correspond à la taille moyenne du nombre de salariés de l'adhérent standard du Medef, c'est-à-dire 47 salariés. Donc je comprends la vie des PME, leur capacité de donner de l'emploi à des personnes et faire vivre des familles. L'entrepreneur a un rôle essentiel dans la société en donnant du possible. Et dans le même temps, j'ai conscience des enjeux des grandes entreprises avec lesquelles je collabore aussi dans le cadre de ma société de conseil en innovation.

Vous étiez déjà candidate en 2018. Mais cette fois, vous dites être là " pour gagner "...

En 2018, je n'avais aucune ambition de l'emporter. Quand je suis entrée en campagne, il y avait neuf hommes en lice. C'était une candidature de témoignage, pour préparer la mixité, la pluralité entrepreneuriale. Après cinq années en tant que porte-parole du Medef, j'ai travaillé et j'ai réalisé environ 200 interventions médias sur tous les sujets d'actualité. Je suis prête pour le mandat qui est en jeu. D'autre part, Pierre Barjeux, qui était le troisième candidat à avoir obtenu un nombre suffisant de parrainages s'est officiellement rallié à ma candidature. Plusieurs chefs d'entreprise qui n'ont pas obtenu le nombre de parrainages suffisant me soutiennent aussi. Il est clair que la dynamique de campagne est en ma faveur.

Pourtant, certains observateurs évoquent un soutien important des principales fédérations à votre concurrent, Patrick Martin, dans cette élection où il apparaît comme favori. Qu'en pensez-vous ?

Concernant la fédération de la métallurgie, la seule qui avait appelé à parrainer uniquement Patrick Martin, j'ai recueilli la moitié de leurs parrainages. Concernant le secteur du bâtiment, le président de cette fédération a certes appelé à titre personnel à parrainer Patrick Martin, mais je constate que cela ne m'a pas empêchée d'obtenir de nombreux parrainages. Il y a un miroir déformant de la réalité. Je pense que quand les grands patrons d'industrie feront connaître leur choix (les patrons d'Orange et Renault lui ont depuis apporté leur soutien, ndlr), on verra que le rapport de force n'est pas forcément celui que l'on croit.

Le pays connaît des tensions sociales très forte. Quelle sera votre position face aux syndicats et au gouvernement si vous êtes élue ?

Il ne faut pas oublier que ce n'est pas une réforme qui émane du patronat mais du gouvernement. Pour faire passer socialement cette réforme, le gouvernement va avoir à cœur de donner des gages au mécontentement populaire. Il va vouloir faire des cadeaux dont il n'endossera pas la facture. Ce qui veut dire que le gouvernement va se tourner vers les entreprises en leur disant que c'est à elles de jouer. De l'autre côté, les syndicats seront très exigeants. Donc à court terme, les entreprises vont avoir la double pression gouvernementale et syndicale. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé l'idée de l'interpatronale. Car dans ce troisième tour social, nous ne devons pas arriver désorganisés ou rester silencieux. Il faut nous forger une doctrine vis-à-vis du monde du travail, sans tabou entre fédérations du Medef et avec les autres organisations patronales. Ensuite, sur la durée du mandat, je souhaite que l'on ait une remontée dans un flot continu de la part de nos adhérents des problématiques de terrain. C'est ce que j'appelle une direction horizontale et c'est ce que les adhérents demandent aujourd'hui. Le Medef, c'est tout de même une centaine de fédérations et 130 territoires qu'il faut écouter.

Pensez-vous que la réindustrialisation de la France est réellement en cours ?

La crise Covid a révélé les limites d'une mondialisation effrénée. Cette prise de conscience a eu lieu et elle a montré qu'il fallait relocaliser et réindustrialiser sur quelques secteurs clés. En tant que cheffe d'entreprise, cela fait plus de 30 ans que j'accompagne la transformation de l'industrie. Nous sommes dans un cycle d'accélération des transformations où il est important de miser sur du surinvestissement financier dans la recherche et le développement, et dans l'innovation industrielle. Les mutations industrielles doivent être prises en compte dès maintenant. D'autre part, il faut bien comprendre qu'il y a globalement une déconnexion du monde économique et du monde entrepreneurial et patronal avec la société. Le Medef est une confédération qui regroupe aussi bien la métallurgie, l'industrie de santé, le bâtiment, l'agroalimentaire... C'est le collectif qui milite pour l'intérêt de l'économie française. C'est pourquoi j'appelle cela l'équipe de France de l'économie. Notre rôle est de favoriser le développement des entreprises pour qu'elles soient compétitives face à nos pays concurrents, et attractives pour créer un lien d'intégration sociale, c'est-à-dire que les gens aient envie de venir travailler dans nos entreprises.

Qu'en est-il de vos liens avec la Corse ? Vous semblez revendiquer fièrement vos racines insulaires dans cette campagne.

La Corse, et notamment ma grand-mère paternelle à Zuani, m'a transmis une fierté d'appartenance à une même famille. Cette fierté d'appartenance sera très importante quand je serai présidente du Medef car la fierté d'appartenance à la famille entrepreneuriale doit être au cœur de l'action de ce mandat 2023-2028. L'État providence, c'est fini. L'État n'a plus les moyens de subvenir aux besoins de tous nos concitoyens et les solutions aujourd'hui viennent des entreprises. Il va donc falloir que l'on célèbre le rôle de l'entreprise dans la société. Je veux inculquer à l'opinion publique cette fierté d'appartenance au monde économique et aux dirigeants d'entreprises. J'espère que la famille des chefs d'entreprise de l'île y croira autant que moi.

Justement, quel message souhaitez-vous faire passer au tissu économique insulaire ?

Mon message est celui de l'encouragement au développement de l'activité quelle qu'elle soit. J'ai la conviction que l'entreprise est la solution. Pour la Corse, j'ai la conviction que les entreprises locales peuvent incarner cette solution économique pour créer de la valeur. Développer l'entrepreunariat et l'enseigner là où il n'est pas forcément le plus présent est un vrai sujet du Medef. Il faut pousser, accompagner le développement entrepreneurial dans des zones comme la Corse. L'île a le potentiel pour devenir un bon laboratoire de création de valeurs. Certes, l'insularité n'est pas toujours un atout, surtout quand on se retrouve en pleine crise des matières premières et de l'énergie, c'est encore plus compliqué. Avec les nouvelles technologies, il y a des tas de domaines dans lesquels on peut s'affranchir totalement des contraintes géographiques. Regardez Taïwan, l'île a su déployer les nouvelles technologies de manière remarquable. Un autre sujet de développement concerne les technologies environnementales dans lesquelles la Corse doit s'engager.

Quels sont vos rapports avec le Medef Corse ? Celui-ci vous soutiendra-t-il ?

L'actuel président du Medef Corse, Jean Louis Albertini, a su s'affirmer comme un réel interlocuteur jeune et dynamique. À mes yeux, il fait partie de cette génération montante des présidents qui a su se distinguer. Nous avons besoin de gens comme lui sur le terrain. Il est engagé pour son territoire, c'est quelqu'un d'accessible. Le rayonnement d'un territoire s'exprime aussi par la voix de son président et il a su rendre visible la Corse au niveau national. Dans le cadre de cette élection, je m'exprime régulièrement lors d'auditions devant les différents collèges électoraux et au-delà des effets d'annonce et des soutiens à titre personnel, chaque candidat peut se présenter et donner sa vision. J'espère convaincre aussi les électeurs qui représentent l'île dans cette élection.

Source: Corse Matin