En Pologne, l’enclave russe de Kaliningrad rebaptisée Krolewiec

June 08, 2023
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LETTRE DE VARSOVIE

Des ouvriers polonais remplacent les panneaux routiers indiquant la ville de Kaliningrad, sur un tweet publié le 31 mai 2023. TWITTER / MINISTÈRE DE L’INFRASTRUCTURE POLONAIS

C’est le grand branle-bas de combat sur les bords de route du nord-est de la Pologne depuis quelques jours, près de la frontière russe avec l’enclave de Kaliningrad, où des ouvriers s’affairent à remplacer des panneaux routiers. Dans un tweet du ministère de l’infrastructure polonais le 31 mai, on voit deux hommes en tenue réfléchissante dévisser une pancarte routière affichant « Kaliningrad » pour y apposer « Krolewiec » à la place.

Depuis le 9 mai, le nom de Kaliningrad – couramment utilisé en Pologne jusque-là – fait place à l’ancien toponyme polonais de Krolewiec. Même traitement pour l’oblast de Kaliningrad – sa région administrative – qui s’appelle désormais « Obwod Krolewiecki » et non plus « Kaliningradzki ». C’est ainsi qu’en a décidé, en avril dernier, la commission de normalisation des noms géographiques hors de la République de Pologne, l’institution polonaise chargée de la toponymie. Même s’il ne s’agit que d’une recommandation, elle implique de changer l’ensemble des panneaux routiers portant la mention de Kaliningrad, ainsi que de futures cartes.

« Nous ne souhaitons pas la russification en Pologne, d’où notre décision d’appeler Kaliningrad et sa région dans notre propre langue », a déclaré le ministre du développement et de la technologie, Waldemar Buda, cité dans un communiqué officiel de son ministère. « Le fait de donner à une grande ville proche de notre frontière le nom de M. Kalinine, c’est-à-dire un criminel coresponsable, entre autres, d’avoir pris la décision de procéder au meurtre de masse d’officiers polonais à Katyn en 1940, évoque des émotions négatives chez les Polonais », poursuit le communiqué, qui souligne le contexte particulièrement sensible de l’invasion russe en Ukraine, au prétexte d’un « ruski mir » menacé (« le monde russe »), et rappelle un douloureux épisode de l’histoire polonaise de la seconde guerre mondiale. Soit l’exécution de plusieurs milliers d’officiers polonais par la police politique soviétique du NKVD, en 1940, validée par Mikhaïl Kalinine, chef du Présidium du Soviet suprême. Un fait longtemps masqué par l’URSS.

« Un processus à la limite de la folie »

Pourtant, l’origine de la ville, fondée sur la mer Baltique par les chevaliers teutoniques en 1255, est plutôt germanophone. Conigsberg ou Königsberg (« le mont du roi ») rendait ainsi hommage au roi Ottokar II de Bohême, qui avait pris part aux croisades dans la région. La cité est intégrée à la Prusse au XVIIIe siècle, qui a vu naître le philosophe Emmanuel Kant. Elle appartient jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale à l’Allemagne et revient à la Russie en 1945, après les accords de Yalta et Potsdam. Moscou s’empresse alors de rebaptiser l’enclave du nom de Mikhaïl Kalinine, collaborateur de Staline. A la chute de l’URSS, un impossible consensus lui fera conserver son toponyme soviétique.

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Source: Le Monde