En Turquie, Hakan Fidan sort de l’ombre

RFI
June 11, 2023
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Après la réélection de Recep Tayyip Erdogan, il y a deux semaines, le président turc a annoncé la composition de son nouveau gouvernement la semaine dernière à l’occasion de son investiture. Et si les regards étaient principalement tournés vers le ministère de l’Économie, étant donné le contexte actuel, la surprise a été du côté du ministère des Affaires étrangères avec la nomination de Hakan Fidan à ce poste. Ancien chef du MIT, les services de renseignements turcs, qu’il a dirigés durant plus de 10 ans, ce fidèle parmi les fidèles du président turc, bien que peu connu, pourrait bien devenir une des principales figures du paysage politique turc des prochaines années.

Poignée de main entre le président turc Recep Tayyip Erdogan (à gauche) et son ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan, le 3 juin 2023 à Ankara.

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Qui est Hakan Fidan, ce personnage de l’ombre, qui connaît tous les secrets de son mentor Recep Tayyip Erdogan et qui est désormais aujourd’hui sur le devant de la scène ?

Père de trois enfants, titulaire de nombreux diplômes aux États-Unis, mais aussi en Turquie, notamment à l’université de Bilkent, à Ankara, l’ancien chef des renseignements turcs est considéré comme l’un des proches confidents du président turc, comme le confie Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul : « C’est un homme dont Recep Tayyip Erdogan a dit que c’était finalement sa mémoire, c’était celui qui était le mieux informé de Turquie ».

Un personnage au cœur du pouvoir

Personnage de l’ombre, Hakan Fidan est surtout un personnage redouté en Turquie, car en tant qu’ancien chef des services secrets comme l’explique Aurélien Denizeau, chercheur en histoire, relations internationales et sciences politiques, et spécialiste de la Turquie, il a géré les dossiers les plus sensibles :« Hakan Fidan est redoutée, bien sûr, parce qu’il a en réalité été mêlé à toutes les affaires un peu obscures qui ont pu faire parler de la Turquie dans les dernières années, notamment par exemple ces ingérences dans les guerres civiles syrienne y compris avec des manœuvres qui parfois ont été dénoncées, comme l'envoi d'armes à des groupes pour lesquels il était difficile de tracer la destination finale ou bien encore, bien sûr les négociations de paix, puis ensuite au contraire une lutte implacable avec les milices armées kurdes dans la région. »

Patron des renseignements entre 2010 et 2023, ce fidèle parmi les fidèles du président turc a aussi été de ceux qui ont lutté contre la confrérie Gülen, accusée entre autres d’être derrière la tentative de coup d’État en 2016. Il a aussi participé à la répression contre les universitaires, les journalistes et les juges dans les années qui ont suivi. Un personnage qui est donc au fait de tous les secrets, mais qui n’a pas le profil habituel pour occuper le poste de ministre des Affaires étrangères, estime Aurélien Denizeau : « C'est un profil qui est relativement atypique à ce poste puisqu’en règle générale, on avait tendance à privilégier les diplomates, ou bien des proches du président, mais issus davantage du sérail politique. Or, il est issu du monde sécuritaire, il est issu des services de sécurité et à ce titre, évidemment, c'est une personnalité un petit peu différente de ce que l'on pouvait attendre. »

Pas de changement attendu dans la diplomatie turque

Ce profil atypique interroge. Est-ce que cela signifie que la Turquie va opérer un changement d’orientation de sa politique étrangère ? Pour Jean Marcou, c’est une possibilité. Mais étant donné le contexte actuel, la Turquie malgré tout devrait continuer sur la même ligne selon lui : « Je ne pense pas que pour l'instant, il y ait de changements ou de revirement qui soient véritablement à l'ordre du jour. Par contre, je crois qu'il y a un peu peut-être deux options, soit une reprise de la politique très offensive qui avait été menée au tournant des années 2020 en Méditerranée orientale, notamment avec des opérations militaires, un peu de partout, des relations souvent tendues de la Turquie avec ses alliés occidentaux. Je pense plus qu'on va assister à un approfondissement de la dimension stratégique de la Turquie dans les affaires internationales. Je veux parler en particulier du dossier ukrainien. Je veux parler des dossiers balkaniques. La Turquie est dans une position qui est assez stratégique, médiatrice sur beaucoup de dossiers à l'heure actuelle, il me semble que ses premiers pas risquent de refléter la position de la Turquie dans les prochains mois. »

Il ne faut donc pas s’attendre à de grands changements en matière diplomatique. Surtout que comme le rappelle Aurélien Denizeau, c’est Recep Tayyip Erdogan qui a la main en matière de relations internationales depuis qu’a été instauré le régime présidentiel turc en 2018 : « La politique étrangère qui va être appliquée par la Turquie, ce sera la politique étrangère que va choisir d'appliquer Recep Tayyip Erdogan. Donc, peu importe la personnalité du ministre, ce dernier pourra éventuellement lisser les choses à la marge ou peut-être fournir certaines informations intéressantes. Mais il n'aura pas vraiment de marge de manœuvre. Il ne sera ni un décideur, ni un théoricien. »

Si Hakan Fidan n’aura pas véritablement de marge de manœuvre dans son ministère, son choix n’est pas si anodin. Recep Tayyip Erdogan est aujourd’hui âgé de 69 ans. Il en aura 74 au moment où il terminera son mandat. Un laps de temps qui doit permettre à la génération d’Hakan Fidan de sortir de l’ombre pour à terme prendre les rênes de la Turquie.

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Source: RFI