Drôme : Retour sur le périple sanglant de Gabriel Fortin, le " tueur de DRH "

June 12, 2023
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Le conducteur de la Hyundai I-20 rouge semble prêt à prendre tous les risques pour échapper aux forces de l’ordre. Ce 28 janvier 2021, il est 9h21 lorsque le véhicule emprunte à contresens le pont Mistral, qui relie Guilherand-Granges à Valence. Une voiture de police banalisée, lancée à ses trousses, le percute. Le choc est violent. Les fonctionnaires sortent et plaquent au sol un homme au crâne dégarni, vêtu d’une veste bleu claire et d’un jean. Agé de 45 ans, le suspect, inconnu de leurs services, leur déclare simplement s’appeler Gabriel Fortin. Avant de se murer dans le silence. Dans son véhicule, les policiers découvrent un pistolet semi-automatique Glock 17 et des centaines de munitions. Ils ont, ce matin-là, mis un terme au périple sanglant de celui que le presse surnomme « le tueur de DRH ».

Plus de deux ans après les faits, le quadragénaire est jugé à partir de ce mardi, devant la cour d’assises de la Drôme, pour trois chefs d’assassinat et une tentative d’assassinat. Le passé de cet ingénieur au chômage est marqué par deux licenciements, en Eure-et-Loir en 2006, puis en Ardèche en 2010. Deux épisodes qui semblent avoir nourri sa rancune jusqu’au passage à l’acte. Socialement isolé, cet homme, originaire de Nancy, est accusé d’avoir voulu se venger froidement, des années après. Amateur de tir sportif, il n’a rien laissé au hasard : il a dressé une liste de victimes à tuer et a effectué des repérages sur leurs lieux d’habitation ou de travail. Un voyage de vengeance qui a commencé deux jours avant son arrestation, à Wolfgantzen, une bourgade du Haut-Rhin.

Un périple qui commence en Alsace…

Le mardi 26 janvier 2021, vers 18h40, Estelle L. est retrouvée morte dans sa voiture, garée sur le parking de l’entreprise Knauf, spécialisée dans les matériaux d’isolation, qui l’employait. Le moteur tourne et les phares sont allumés. L’autopsie permet d’établir que cette DRH de 39 ans a été tuée de quatre balles, tirées du côté gauche de son véhicule. Une heure après, Bernard M. est agressé chez lui par un homme armé et masqué dans la commune de Wattwiller, à une quarantaine de kilomètres. Son agresseur sonne à la porte de ce DRH qui travaille pour General Electrics et ouvre le feu avec le pistolet qu’il dissimule derrière un carton à pizza. Par chance, la victime n’est pas touchée. Le tireur parvient à prendre la fuite.

Etrange coïncidence, Bernard M. connaît la femme tuée à Wolfgantzen : c’est une ancienne collègue de l’entreprise Francel, en Eure-et-Loir. L’enquête révélera qu’ils ont tous deux mené l’entretien de licenciement de Gabriel Fortin en septembre 2006. Deux jours après, l’accusé prend la route en direction du sud de la France. Vers 8h45, Gabriel Fortin se rend à l’agence Pôle emploi de Valence. A l’accueil, il prétend s’appeler Rachid Arzaoui et explique vouloir consulter des offres d’emploi. Il est invité à patienter dans la salle d’attente. Masque chirurgical sur le nez, main droite plongée dans un sac de plastique blanc, il ouvre subitement le feu sur une employée. Patricia P., 53 ans, est touchée au thorax. L’agresseur repart en voiture. Sa victime ne peut être réanimée.

... Et qui s’achève en Ardèche

L’enquête établira que le suspect avait été inscrit dans cette agence entre 2010 et 2013. « Mais rien dans le dossier n’a permis d’établir qu’il y avait eu un lien quelconque avec Patricia. Il n’y avait pas eu de relations personnelles ou d’échanges avec elle », observe Me Denis Dreyfus, qui représente l’époux et les filles de la victime. Selon l’avocat, c’est « l’institution » qui était visée par Gabriel Fortin, cette mère de famille s’étant trouvée « là au mauvais moment ». L’accusé, lui, poursuit sa route et parcourt une dizaine de kilomètres. Il rejoint les locaux de Faun Environnement, entreprise qui fabrique des véhicules de collecte de déchets à Guilherand-Granges (Ardèche), sur l’autre rive du Rhône. Là, il demande à voir Géraldine C. et finit par trouver cette DRH de 51 ans. Il ouvre le feu sur elle, la touchant au ventre et au visage. Il jette ensuite son arme et prend la fuite en voiture. Les investigations révéleront que Gabriel Fortin avait également été licencié de Faun Environnement, où il avait travaillé comme ingénieur entre 2008 et 2010. A l’époque, Géraldine C. avait signé sa lettre de licenciement.

Le quadragénaire, on l’a vu, sera arrêté quelques instants plus tard, alors qu’il se dirigeait vers Valence. Avait-il achevé son périple meurtrier ? La justice en doute. Dans les notes saisies dans son ordinateur, Gabriel Fortin expliquait nourrir une rancœur tenace à l’égard d’une ex-petite amie du Lycée, de deux avocats qu’il avait sollicités à l’époque de son licenciement, et d’un procureur de la République. Or, l'accusé a été interpellé à quelques centaines de mètres du tribunal judiciaire de Valence. Il s’y était rendu et avait repéré l’emplacement précis du bureau du magistrat. Et lui avait écrit à plusieurs reprises au sujet du litige qui l’opposait à la société Francel. Gabriel Fortin se disait victime d’un complot destiné à l’empêcher d’exercer son métier, affirmait avoir été placé sous écoute et assurait que des personnes entraient chez lui en son absence. Dans des notes manuscrites saisies dans sa cellule, il explique aussi que la justice ne l’a pas protégé. Il évoque une logique de « légitime défense différée », « un geste de survie » pour ne pas devenir « une loque ».

« La vengeance froide et déterminée d’un homme intelligent »

Tout au long de l’instruction, Gabriel Fortin a fait le choix de garder le silence face aux enquêteurs, aux magistrats et aux experts qui l’ont examiné. Pour les psychiatres, « les actes reprochés ne sont pas à mettre en lien avec un trouble mental mais apparaissent surtout comme la vengeance froide et déterminée d’un homme intelligent, blessé par des rejets insupportables de la part du seul milieu qu’il pensait pouvoir lui procurer une place sociale ». Ils n’ont pas décelé, chez lui, d’altération ou d’abolition du discernement au moment des faits.

Me Denis Dreyfus, à l’instar des autres avocats des parties civiles, redoute que l’accusé refuse de comparaître à son procès. « Je souhaite tout de même qu’au moment de l’audition des parties civiles, si on est dans ce cas de figure, il puisse être là. Il me paraît essentiel qu’il entend les expressions des victimes et de tous les cercles de souffrance qui ont été générés par ses actes », nous explique-t-il. Avant d’ajouter : « De manière plus générale, c’est un dossier qui a ému la France entière, donc il faut qu’il entende ça. » Son avocat, Me Romaric Château, n’a pas donné suite à nos sollicitations. Le procès doit durer trois semaines. Gabriel Fortin encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Source: 20 Minutes