La loi " anti-squat " adoptée par le Parlement aura " des conséquences humaines dramatiques "

June 15, 2023
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IvanBastien / Getty Images/iStockphoto IvanBastien / Getty Images/iStockphoto

LOGEMENT - La proposition de loi « anti-squat » soutenue par le gouvernement a été définitivement adoptée par le Parlement, ce mercredi 14 juin dans la soirée. Un vote acquis par 248 voix contre 91, malgré une vive opposition de la gauche. Visant à « protéger les logements contre l’occupation illicite », le texte a reçu le soutien de la droite et du RN. Il vise à tripler les sanctions encourues par les squatteurs et à faciliter les expulsions en cas de loyers impayés.

Du côté des associations qui luttent contre le mal-logement, l’inquiétude est très forte. « Cette loi va avoir des conséquences sociales et humaines dramatiques et va pousser les gens à choisir entre la rue et la prison », souligne auprès du HuffPost Noria Derdek, à la direction des études de la Fondation Abbé Pierre. Tous les acteurs sociaux du secteur ont tenté de se mobiliser contre la proposition de loi du député macroniste Guillaume Kasbarian, en vain.

Le texte, qui a légèrement évolué au fil de la navette parlementaire, n’a pas changé sur le fond. « On va criminaliser des personnes qui aujourd’hui squattent parce qu’elles n’ont pas de solution, dénonce Maxime Baduel, directeur général de la fédération Solidarités Nouvelles pour le Logement. Les rapporteurs essayent de faire croire que le squat n’est que malveillant, alors que ces cas-là sont très rares. La majorité du temps, ce sont des personnes à la rue, réfugiées, en très grande pauvreté, qui se mettent à l’abri. »

« Pénaliser les plus pauvres »

L’une des mesures phares de la loi est l’aggravation des sanctions encourues par les squatteurs : jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, contre un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, actuellement. Le texte prévoit aussi de créer une nouvelle infraction contre la promotion et l’incitation au squat de logements vacants. Elle cible certains tutoriels que l’on peut trouver sur internet et s’élèvera à 3 500 euros.

La caricature du profil du squateur et de celui du propriétaire, présente tout au long des débats parlementaires, ne refléterait pas la réalité, selon les acteurs de terrain. « Le squatteur est présenté comme quelqu’un de très organisé, aidé par des sites internet pour savoir comment changer une serrure, et le propriétaire comme un retraité dont c’est le seul revenu, expose Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature. C’est la situation la plus parlante dans les médias, mais dans ce que l’on a face à nous tous les jours, elle est virtuelle, voire complètement inexistante. Ce sont des situations anecdotiques. »

Le contexte économique actuel accentue les crispations. « Après la crise sanitaire, la crise économique et l’inflation que nous vivons, on a des personnes en France de plus en plus pauvres, on est passés de 700 000 bénéficiaires de l’aide alimentaire en 2019 à 2,5 millions fin 2022, rappelle Maxime Baduel. Se rendre compte qu’on va pénaliser les plus pauvres par cette loi, c’est un peu crispant. Il y a d’autres choses à faire. »

L’ONU exprime ses inquiétudes

Après la Défenseuse des droits et la commission nationale consultative aux droits de l’homme (CNCDH), c’était au tour de l’ONU, début avril, d’exprimer ses inquiétudes quant à cette proposition de loi « anti-squat ». Selon les deux rapporteurs, toutes ces mesures « se présentent comme visant à renforcer les droits des propriétaires de logements, tout en fragilisant » des personnes déjà « particulièrement vulnérables ».

Ils craignent aussi les conséquences de l’accélération de la procédure d’expulsion locative prévue par le texte. « Il ne serait pas acceptable à nos yeux que les expulsions d’un logement se trouvent facilitées, si ceci ne s’accompagne pas d’un renforcement du droit pour les ménages précarisés d’avoir accès à un logement à un prix abordable », préviennent-ils.

Pour Noria Derdek, à la direction des études de la Fondation Abbé Pierre, une loi opportune aurait pu par exemple « produire du logement social, chercher dans le parc privé des logements à bas loyer pour les personnes qui n’arrivent pas à se reloger par ailleurs et aurait interdit les expulsions locatives sans relogement ».

Autre problème : l’accès au droit

Autre problème soulevé par les associations et les personnels judiciaires : la mise à l’écart du juge dans la procédure d’expulsion pour impayés ou pour les squatteurs. « On organise une procédure d’expulsion extrêmement rapide, sans recours au juge, ou avec un recours dans les sept jours, ce qui est bien trop court, estime Thibaut Spriet, secrétaire national du Syndicat de la magistrature. Or, l’intérêt du juge, c’est qu’on voit la personne, elle peut se défendre et faire un recours. Et tout cela est important pour que la démocratie soit encore acceptée. »

Si le Sénat a supprimé la peine d’emprisonnement encourue pour les locataires en situation de loyers impayés qui seraient restés dans le logement, une amende correctionnelle a été maintenue, ce qui veut dire que ce sera inscrit au casier judiciaire. « Une audience d’expulsion, c’est déjà quelque chose d’assez stigmatisant, devant un tribunal correctionnel c’est une spirale… s’indigne Thibaut Spriet. On demande à la justice d’aborder ces situations non pas sous un angle d’arbitrage et de justice, mais sous un angle répressif. »

Pour le magistrat, le fait que ce texte ait été présenté sous la forme d’une proposition de loi et non d’un projet de loi est parlant. « Lorsqu’il s’agit d’un projet de loi, le gouvernement est obligé de faire une étude d’impact. Le choix de la proposition de loi est de passer en force sans vouloir voir les conséquences », conclut-il.

« Cette loi n’est pas en décalage avec l’actualité. Elle est en accord avec une certaine politique menée, estime Noria Derdek, à la direction des études à la Fondation Abbé Pierre. On est face à une attaque sans précédent à l’encontre des droits à la protection des personnes, des mal-logés et des sans-logis. C’est une énorme régression. »

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Source: Le HuffPost