Pourquoi le site "En avoir pour mes impôts", lancé par le gouvernement, est-il accusé par la gauche d'être "orienté" ?

April 28, 2023
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Cette plateforme permet d'en savoir plus sur les coûts des services publics. Mais la gauche estime que les informations y sont incomplètes et que le questionnaire lancé en parallèle n'est pas neutre.

Savez-vous combien coûte un accouchement ? Ou la scolarisation d'un collégien ? Pour aider les contribuables à estimer la valeur des services publics accessibles gratuitement, le gouvernement a mis en ligne la plateforme En avoir pour mes impôts. En parallèle, une consultation a été lancée. Les citoyens sont invités à donner leur avis sur l'utilisation des impôts, sur les domaines où il faudrait dépenser plus ou moins. "Je me déplace beaucoup sur le terrain et, régulièrement, des Français me disent qu'ils veulent voir exactement comment et où vont nos impôts", a rapporté Gabriel Attal, le ministre délégué aux Comptes publics, sur RTL.

Mais le lancement du site gouvernemental fait grincer des dents, notamment à la gauche. La plateforme est accusée de donner des informations incomplètes et même de présenter un biais anti-impôts. Franceinfo vous explique pourquoi le site porté par l'exécutif fait l'objet de vives critiques.

Un manque de "pédagogie de l'impôt"

Pour illustrer le coût des services publics, dans un objectif affiché de "transparence", la plateforme du gouvernement prend quelques exemples concrets : l'entretien d'un kilomètre de route (110 000 euros), une année de scolarité dans un collège (8 200 euros), ou encore un accouchement (2 600 euros à 5 600 euros). On y apprend aussi que les communes dépensent 76 euros par an et par habitant pour entretenir les parcs et que la tenue d'une élection présidentielle coûte 4,76 euros par électeur.

"Une bonne idée", pour la sénatrice centriste Nathalie Goulet, qui travaille sur la fiscalité. "Le citoyen n'a aucune idée du coût des services publics, ni de comment est dépensé l'argent", estime-t-elle, auprès de Public Sénat.

"Détailler la prise en charge de la santé, c'est intéressant", abonde Vincent Drezet, porte-parole de l'association Attac, qui milite "pour la justice fiscale". Interrogé par Public Sénat, il émet tout de même plusieurs critiques, notamment sur l'absence d'une "pédagogie de l'impôt". Il regrette qu'il n'y ait pas "une phrase pour expliquer la différence entre 'impôts' et 'cotisations'". Un écueil également repéré par le député la France insoumise Hadrien Clouet, qui accuse Gabriel Attal de confondre impôts (perçus par l'Etat et non affectés à un objet précis) et cotisations sociales (perçues par des caisses sociales et affectées à des dépenses définies).

La cofondatrice du think tank "Sens du service public", Emilie Agnoux dénonce de son côté une "stratégie de comm'". Selon cette militante du mouvement Place publique, l'initiative gouvernementale "trahit une vision purement économique de rentabilité". "Sauf qu'il est question de solidarité, de redistribution, de soin, d'humain, de liens, de problématiques complexes, d'interventions croisées, etc. Bref, de la matière et de la complexité humaines qu'on ne peut pas réduire à des coûts", lance-t-elle sur Twitter.

Des données jugées incomplètes

L'économiste Thomas Piketty, interrogé sur France Inter, juge insuffisantes les informations publiées sur la nouvelle plateforme du gouvernement. Par exemple, en matière d'éducation, l'économiste considère qu'"il faut aller au-delà de la moyenne" du coût d'une année de scolarisation, afin de mettre en lumière les inégalités entre établissements. Il plaide pour connaître la répartition du coût "en fonction des territoires, en fonction du revenu moyen de la commune".

Plusieurs dépenses publiques manquent également à l'appel. En effet, dans la catégorie "entreprises", seules les dépenses "aides énergie aux entreprises" et "accident du travail" sont mentionnées. "Le site ne dit rien sur les milliards d'aides directes et indirectes aux entreprises chaque année de la part de l'Etat, des collectivités et de leurs opérateurs", dénonce Emilie Agnoux.

D'autres exemples, liés à l'actualité plus ou moins récente, ont été relevés. "Et le coût d'un PowerPoint de #McKinsey ?", a lancé l'élue La France insoumise Julie Garnier, sur Twitter. La journaliste Nassira El Moaddem a également interpellé Gabriel Attal. "Est-ce que le site "En avoir pour mes impôts" pourra nous dire où l'argent du Fonds Marianne a été mis très précisément ?", a-t-elle demandé au ministre des Comptes publics sur Twitter, en référence à la polémique sur l'utilisation de ce fonds mis en place après l'assassinat de Samuel Paty.

Enfin, Emilie Agnoux regrette le manque de clarté de certaines des informations. Elle cite l'exemple des piscines. Le site gouvernemental nous apprend qu'une subvention de 170 000 euros a été attribuée à la communauté d'agglomération Portes de France-Thionville. "En quoi savoir [cela] éclaire-t-il le citoyen sur le coût de fonctionnement et d'investissement d'un tel équipement public ?", interroge la militante.

Un questionnaire "binaire" et "simpliste"

A côté du volet informatif du site "En avoir pour mes impôts", le gouvernement a également choisi de lancer une concertation. L'objectif est de savoir comment les contribuables souhaitent que leur argent soit dépensé. "Outre son nom, qui pose question, le questionnaire repose sur des questions manifestement orientées", a d'emblée dénoncé l'association Attac dans un billet de blog sur le site de Mediapart. "Par ailleurs, il évite soigneusement de demander leur avis aux citoyen.nes sur la politique fiscale", écrit encore Attac.

La première question posée est la suivante : "De façon générale, en prenant en compte les différents impôts (impôts locaux, sur le revenu, TVA, etc.) diriez-vous que vous payez actuellement… ?" Les réponses proposées arrivent dans cet ordre : "Trop d'impôts", "le juste niveau d'impôts", "pas assez d'impôts", "sans opinion". Plus loin, il est demandé : "Et pour vous, payer des impôts, est-ce plutôt un motif de… ?". Parmi les réponses possibles, on retrouve un terme positif ("fierté"), deux qualificatifs négatifs ("résignation" et "colère") et trois neutres ("indifférence", "rien de tout cela" et "sans opinion"). Emilie Agnoux dénonce "le peu de termes positifs" associé au fait de payer des impôts.

Vincent Drezet, de l'association Attac, déplore un consultation fondée sur des "questions binaires" et "des réponses fermées et simplistes". "La seule question ouverte est sur les dépenses que l'on pense qu'il faut baisser. On aurait pu imaginer une question différente sur les dépenses publiques d'avenir par exemple", regrette-t-il. De son côté, Emilie Agnoux remarque qu'il est impossible de répondre qu'il ne faudrait baisser les dépenses dans "aucun" domaine.

Source: franceinfo