Réforme du marché de l’électricité : un nouveau front sur le nucléaire s’ouvre à Bruxelles

June 20, 2023
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Les ministres de l’Énergie des 27 États membres ont ferraillé lundi (19 juin), sans trouver d’accord, sur la question du financement des actifs nucléaires existants dans le cadre de la réforme du marché européen de l’électricité.

Les 27 se sont réunis lundi (19 juin) à Luxembourg afin de discuter de la réforme du marché européen de l’électricité.

Tous, après quelques va-et-vient, sont prêts à ce que la réforme porte ses fruits le plus rapidement possible et contribue à la baisse des prix de l’électricité, soit avant la fin de l’année.

L’objectif étant que les prix de l’électricité n’atteignent plus ceux de l’hiver 2022-2023, lorsqu’ils avaient explosé suite à la baisse drastique des approvisionnements en gaz russe et à l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire français.

À ce titre, la Commission européenne a présenté une réforme du marché en mars dernier proposant la mise en place de contrats pour différence (CfD) sur les actifs de production d’électricité décarbonée.

Ces nouveaux contrats deviendront obligatoires dès lors qu’il y a intervention de fonds publics pour la mise en place de nouvelles capacités de production.

Les CfD sont des contrats définissant un prix plancher, un prix plafond ou un couloir de prix de vente de l’électricité sur le marché de gros. Dans le cadre du marché européen de l’électricité, lorsque le prix de vente est inférieur au plancher défini, les pouvoirs publics comblent la différence. Lorsque le prix est supérieur au plafond, le producteur distribue l’excédent aux pouvoirs publics.

Pour la France, la mise en place de CfD sur les actifs existants est d’une importance capitale, car cela va permettre d’amortir les investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire français.

L’énergie nucléaire « représente 25 % de la production électrique en Europe », a rappelé lundi la ministre de la Transition énergétique française, Agnès Pannier-Runacher, lors de son arrivée à Luxembourg.

Or, « si nous ne sommes pas capables de trouver un mécanisme qui permette de prolonger les centrales, nous allons nous mettre dans des difficultés importantes » en matière de sécurité énergétique et d’atteinte des objectifs climatiques, a-t-elle rappelé.

Mais pour d’autres États membres, comme l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Autriche ou le Luxembourg, la mise en place de CfD sur les actifs existants est sujet à controverses.

Selon le ministre de l’Énergie luxembourgeois, Claudes Turmes, un tel mécanisme créerait une « énorme distorsion dans le marché intérieur de l’énergie de l’UE ». A fortiori lorsqu’il s’agit d’actifs nucléaires déjà largement amortis.

La France exclue de la réunion des « Amis du renouvelable » de l’UE La France n’a pas été invitée à une réunion des pays favorables aux énergies renouvelables lundi (19 juin) après que Paris a retardé l’adoption de la directive de l’UE sur les énergies renouvelables, a déclaré un diplomate européen à EURACTIV.

Risque de distorsion de concurrence ?

Dans sa proposition de mars, la Commission européenne écrit que « les nouveaux investissements dans le domaine de la production d’électricité devraient inclure […] les investissements destinés à étendre des installations de production d’électricité existantes ou à prolonger leur durée de vie ».

La mesure concerne donc autant les actifs nouveaux — la quasi-totalité étant composée d’énergie renouvelable — que les actifs existants, dont le nucléaire.

Sur ce point, la position de la présidence suédoise du conseil de l’UE, discutée lundi en conseil, reprend peu ou prou la position de la Commission européenne.

Mais lors du conseil, la ministre autrichienne de l’Énergie, Leonore Gewessler, a expliqué que le recours au CfD sur l’existant privilégierait les États membres qui disposent de moyens de production plus importants que d’autres, en particulier la France et ses capacités nucléaires.

Une telle mesure s’apparenterait donc à de la distorsion de concurrence et à un non-respect des règles sur les aides d’État au profit d’EDF, exploitant des centrales nucléaires françaises, a donc avancé la ministre.

Cette situation favorable aux actifs nucléaires serait un « cadeau d’Ursula von der Leyen à Emmanuel Macron », afin de favoriser sa nomination pour un second mandat à la tête de la Commission européenne, après les élections des parlementaires européens en juin 2024, a tancé le ministre luxembourgeois, Claude Turmes.

L’Allemagne, dans ce débat, s’aligne sur les positions de l’Autriche et du Luxembourg. Si le ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck s’est montré favorable à la couverture d’actifs existants pour des CfD, il s’y est opposé pour les actifs nucléaires.

En outre, « s’il n’y a pas d’accord avec la position du Luxembourg, il faut au moins envisager une clause permettant de contrôler la proportionnalité [des investissements] de cet instrument [CfD]», a avancé M. Turmes.

Nucléaire contre renouvelables : deux camps s’affrontent à Bruxelles En amont du conseil européen de l’énergie mardi (28 mars) à Bruxelles, deux groupes d’États membres se sont fait face : d’un côté, la France et 10 États membres regroupés autour d’une « alliance » du nucléaire ; de l’autre, l’Autriche et 9 États membres « amis des renouvelables ».

Le principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité détermine la part de la production des actifs couverte par un CfD.

Selon certains États membres, seule une part des recettes des CfD devrait être affectée au réinvestissement dans les actifs existants. D’autres défendent qu’une partie seulement de la production d’un actif existant puisse être couvert par des CfD et réinjecté dans les actifs existants.

Sinon, le recours à des CfD sur l’ensemble de la production d’une centrale nucléaire en fin de vie « va réduire les incitants à investir dans les renouvelables », a avancé Mme Gewessler.

La France ne peut pas accepter ces approches, a confié le cabinet de Mme Pannier-Runacher. En raison des investissements importants nécessaires au maintien ou à la prolongation de la durée de vie des réacteurs existants, le non recours aux recettes excédentaires du CfD signerait l’arrêt de mort de ces actifs, a-t-il expliqué.

En l’état, « nous trouvons donc la proposition de proportionnalité du CfD inacceptable », a déclaré Mme Pannier-Runacher lors du conseil.

« Nous ne pouvons pas accepter que les efforts publics massifs que nous faisons ne soient pas compensés par le fait que nos consommateurs paient le coût réel de la production [d’électricité] », a ajouté la ministre.

Le maintien du principe en l’état conditionnerait, d’ailleurs, la capacité de compromis de la France sur la répartition des recettes excédentaire des CfD, a relevé son cabinet.

Redistribution des revenus

Dans le texte soumis à débat, il est écrit que les recettes sont distribuées à « tous les clients finaux, y compris les ménages, les PME et les clients industriels », proportionnellement à leur part de la consommation finale.

Or, pour M. Habeck, il serait plus intéressant de concentrer la redistribution des revenus vers les industriels les plus consommateurs d’énergies. Une approche sélective que défend également, dans son principe, la ministre de l’Énergie espagnole, Teresa Ribera.

Pour sa part, la commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simson, a affirmé que la Commission européenne avait déjà répondu aux préoccupations sur la proportionnalité des CfD dans sa proposition initiale.

Elle a toutefois ajouté, lors du conseil, qu’il était possible de clarifier l’application de la règle en ce qui concerne les actifs existants. Ceci, bien entendu, « après vérification du respect des règles sur les aides d’États » a-t-elle précisé.

Les discussions lors du conseil se sont étendues sur l’ensemble de la journée et n’ont pas abouti à une position commune. Les négociations sont donc renvoyées à la prochaine réunion d’organisation des travaux des États membres, dit COREPER.

Accord sur la directive renouvelable : la France est enfin satisfaite Les 27 ont trouvé un compromis vendredi (16 juin), pour satisfaire les intérêts français sur le nucléaire, sans qu’il soit nécessaire de rouvrir les négociations sur la directive renouvelable.

[Édité par Frédéric Simon]

Source: EURACTIV France