À Rennes, ils se battent pour empêcher l’expulsion de leur apprenti boulanger

June 23, 2023
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Aux portes de cette grande zone commerciale du nord de Rennes, alors que la pendule affiche 10 h, une dizaine de personnes font la queue devant la boulangerie du secteur. À l’intérieur du magasin, l’odeur des viennoiseries chaudes embaume l’espace. Près du grand four derrière le comptoir, Souleymane Barry, 20 ans, en termine avec une nouvelle fournée de baguettes de pain.

Sur place depuis 3 h du matin, le jeune apprenti boulanger nous adresse un large sourire en essuyant ses mains pleines de farine sur son tee-shirt. Impossible de deviner dans son regard, le lourd fardeau qu’il porte sur ses frêles épaules. Après une décision de justice tombée il y a quelques semaines, Souleymane s’est vu refuser sa demande de titre de séjour et n’a officiellement plus le droit de travailler sur le territoire français.

Un énième coup dur pour un jeune homme qui reconnaît lui-même que la vie ne lui a jamais fait de cadeaux. Depuis la Guinée, sa terre natale, aux fourneaux d’une boulangerie à Rennes, Souleymane a vécu un parcours tumultueux - bien éloigné des standards d’un garçon de son âge. En 2020, pour échapper à la misère dans son pays - ou sa paie de vendeur ambulant sur les marchés ne suffit pas à faire vivre sa famille, le jeune homme quitte la Guinée, à l’aube de ses 16 ans.

Après un passage par le Sénégal, l’Algérie puis le Maroc, il réussit à embarquer auprès de passeurs peu scrupuleux sur une embarcation de fortune en compagnie de 15 autres personnes pour une dangereuse traversée de la Méditerranée. « Une expérience terrifiante », confie le principal intéressé au moment de retracer le fil de son histoire. Après avoir atteint l’Espagne sain et sauf, Souleymane finit par atterrir à Paris dans le quartier de la Chapelle.

Vocation boulanger

Baladé entre plusieurs foyers et pris en charge par l’aide à l’enfance en raison de son statut de mineur non accompagné, le jeune Guinéen est rapidement envoyé à Rennes en raison du manque de places dans les structures parisiennes. C’est là qu’il commence à apprendre à parler le français - une langue qu’il maîtrise très bien aujourd’hui.

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En Bretagne, Souleymane se découvre assez rapidement une passion pour la boulangerie au cours de plusieurs stages. C’est décidé, le jeune Guinéen en fera son métier. Élève brillant, il entame fin 2020 un CAP boulangerie et rentre en apprentissage dans le magasin pour laquelle il travaille toujours aujourd’hui.

Meilleur apprenti

« En 2022, il a terminé sur le podium d’un concours qui opposait les 500 meilleurs apprentis de toute l’enseigne », racontent ses patrons Margaux et Olivier Cothenet, les yeux pétillants de fierté. Arrivé de région parisienne, le couple a racheté l’affaire l’année dernière et s’est tout de suite pris d’affection pour Souleymane. « C’est vraiment un gamin incroyable, on a de la chance de l’avoir. À 20 ans, il ouvre régulièrement la boulangerie tout seul tôt le matin, on lui fait totalement confiance ».

À la fin de ses études, ses patrons avaient convenu de l’embaucher en CDI. Mais la décision en justice tombée récemment est venue jeter un voile sur le futur du jeune guinéen. Malgré un dossier considéré comme très solide (acte de naissance, fiches de paie, témoignages écrits), Souleymane s’est vu refuser l’obtention d’un titre de séjour.

Injustice

L’une des raisons évoquée pour justifier cette décision : le vol de ses empreintes digitales à Dakar lors de son périple pour rejoindre l’Europe. Un méfait qui a vraisemblablement servi à créer de faux documents d’identité pour un tiers. « Ses empreintes ressortent dans le fichier international et indiquent qu’elles appartiennent à un Sénégalais parti en Italie. C’est comme s’il n’avait pas d’existence propre ». Pour le jeune Guinéen et ses patrons, cette décision est un choc difficile à encaisser.

On est dans l’illégalité la plus totale

« On était très déçu, on n’a pas compris », confie Margaux Cothenet. « On a ressenti de l’injustice, on avait envie de crier ». Malgré avoir fait appel de cette décision, Souleymane n’a plus aucun statut officiel auprès de l‘État français. « En gros, il ne peut plus rien faire, il ne peut pas travailler ou passer son permis, il ne peut pas se loger, ni aller voir un médecin », énumère Olivier Cothenet. « Si rien n’est fait, il risque aussi d’être expulsé du pays ».

Silence

Alors qu’ils ne sont pas censés pouvoir le conserver en raison de sa situation administrative, ses employeurs décident pourtant de le garder dans l’équipe. « On est dans l’illégalité la plus totale. Il est dans les effectifs, on le rémunère, alors qu’on a plus le droit de l’employer… mais il était hors de question de se séparer de lui ».

Le sourire aux lèvres Souleymane Barry travaille depuis près de trois ans dans une boulangerie à Rennes. (Le Télégramme/Quentin Ruaux)

Face au silence de l’État français, la résistance s’organise. Après avoir passé de nombreux coups de téléphone pour se faire conseiller, Margaux et Olivier décident de lancer une pétition en ligne pour faire connaître l’histoire de Souleymane. Le succès est immédiat. « Il y a déjà près de 25 000 signatures. On ne pensait pas qu’on aurait autant de retours positifs, c’est incroyable ».

Deuxième famille

Un soutien qui touche le timide Souleymane en plein cœur. « Ça fait du bien de se sentir soutenu. C’est grâce à mes patrons et mes collègues si j’en suis là aujourd’hui. J’ai trouvé une deuxième famille dans cette boulangerie et j’ai vraiment envie d’y rester et de continuer à progresser dans mon métier ».

En quelques jours, les premiers effets de la pétition se font ressentir. Alertée sur la situation de Souleymane, l’association Patrons Solidaires, qui aide les entreprises dans leurs démarches administratives pour l‘embauche d’une personne exilée, s’est saisi du dossier. « Dans notre pays, quand on a un gosse qui arrive mineur, qui fait toutes ses études, qui ne pose aucun problème, est-ce qu’on veut vraiment le mettre dehors ? » s’agace Olivier Cothenet. « Tout en rappelant qu’il y a actuellement une pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la boulangerie… Donc Souleymane n’a volé l’emploi de personne, il a travaillé dur pour en arriver là ».

Grève de la faim

Pour rester positifs, les deux patrons du jeune apprenti se raccrochent aux affaires similaires qui avaient connu des dénouements heureux ces dernières années. En 2021, un boulanger de Besançon Stéphane Ravacley, avait notamment défrayé la chronique après avoir entamé une grève de la faim pour empêcher l‘expulsion de Laye Fodé Traoré son apprenti guinéen.

Source: Le Télégramme