Ordinations : l’audace d’être prêtre en 2023

June 23, 2023
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Confiante lucidité Être prêtre en 2023 ? C’est répondre à un appel et faire un choix qui apparaît, plus que jamais, minoritaire et à contre-courant. Cette année encore, les jeunes hommes qui s’apprêtent à s’engager pour la vie sont peu nombreux, confirmant une tendance ancienne de baisse des vocations presbytérales. Ainsi, ils sont sept nouveaux prêtres pour la communauté Saint-Martin, cinq pour le diocèse de Paris, trois pour Marseille, deux pour Lyon et Nantes. Être prêtre en 2023, c’est aussi s’engager dans une Église catholique gravement secouée par les révélations de violences sexuelles ou d’abus de pouvoir et spirituels en son sein. Et dans une société française de plus en plus sécularisée et montrant une forme d’indifférence à l’égard du christianisme. Les trois futurs prêtres que La Croix a rencontrés sont lucides et bien conscients des difficultés et des lourdes tâches qu’ils devront affronter. Toutefois, ils témoignent tous les trois d’une grande confiance, qui dépasse le simple regard humain, et d’un désir de vivre l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui.

Au milieu de la gare de Laval (Mayenne), il ne passe pas inaperçu avec sa soutane noire. À 26 ans, Jean-Baptiste Ermeneux – ou don Jean-Baptiste – s’apprête à devenir l’un des prêtres les plus jeunes de France. Membre de la communauté Saint-Martin, grande pourvoyeuse du clergé français, le jeune homme, qui ne se départit pas d’un large sourire et salue spontanément tous ceux qu’il croise, ne se perçoit pas comme une exception.

« Je ne suis pas un ovni mais un enfant de ma génération », plaisante-t-il. Pourtant, il le sait, son choix de devenir prêtre en 2023 dans une Église en crise, et au cœur d’une société française de plus en plus déchristianisée, n’a rien d’évident. Pas de quoi faire désespérer ce Rennais qui est entré au séminaire à 18 ans, après le bac. Soudain, très sérieux, il confie : « Certes, il y a moins de chrétiens mais je crois que Dieu est encore à l’œuvre aujourd’hui dans le monde. »

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Il ne se voit « pas du tout comme un sauveur » de l’Église. En revanche, conscient de la charge qui pèsera sur ses épaules en raison du manque de prêtres, Jean-Baptiste Ermeneux veille déjà à maintenir une solide hygiène de vie afin d’éviter l’épuisement. « Cette année, j’ai pris la résolution de faire du sport deux fois par semaine », expose-t-il.

Jean-Baptiste Ermeneux, 26 ans, membre de la communauté Saint-Martin, le 14 juin à Laval. / Ophélie Loubat pour La Croix

Pourquoi a-t-il choisi de rejoindre la communauté Saint-Martin, dont le classicisme peut irriter certains fidèles ? Ses parents sont membres de la communauté de l’Emmanuel mais lui est peu sensible à la fibre charismatique. Il a découvert Saint-Martin à la faveur d’un pèlerinage avant la seconde et a été attiré par « la joie et l’exigence » des prêtres et séminaristes.

Après avoir hésité avec le séminaire de son diocèse breton auquel il est très attaché, il décide finalement, après la terminale, d’entrer dans celui de la communauté Saint-Martin, où il se sent « poussé vers la sainteté ».

La soutane, « un bleu de travail »

Sa famille a manifesté « quelques résistances » à l’égard de ce choix, intriguée par ces prêtres à la soutane. Ce vêtement, Jean-Baptiste Ermeneux ne le « porte pas comme un conquérant ou avec une volonté de restaurer quelque chose d’ancien », mais comme un « bleu de travail » qui permet d’être repérable et comme un rappel de sa vocation.

Le jeune homme, qui a été amoureux au lycée et parle du célibat comme d’un renoncement lourd à porter, regarde avec circonspection les batailles de chapelles au sein de l’Église. Lui qui navigue entre les sensibilités, dans la « fidélité à l’Église », se revendique « fils du pape François ». « Au séminaire, tous les matins, on nous lisait un texte du pape », raconte-t-il, touché par l’exhortation apostolique Amoris laetitia et sa pédagogie de l’accompagnement des familles.

Ces années de séminaire ont également été marquées par les révélations « douloureuses » de violences sexuelles au sein de l’Église. Jean-Baptiste Ermeneux s’en remet notamment aux évêques pour prendre les mesures appropriées mais considère avant tout que « l’Église n’a pas besoin de réformateurs mais de saints ».

Ainsi, il reconnaît que les débats sur la gouvernance ou la place des laïcs « n’ont jamais été de grands sujets de préoccupation ». « Ma vocation, ce n’est pas d’imposer une liturgie ou un nouvel organigramme pour l’Église, c’est d’annoncer Jésus-Christ et de le faire aimer », plaide celui qui rejoindra Dijon à la rentrée pour former une communauté de quatre prêtres et un séminariste.

Éviter les « risques de schisme »

Dans l’enceinte du séminaire Saint-Jean de Nantes (Loire-Atlantique), Pierre Biehler, 40 ans, déambule dans les jardins du lieu où il a vécu pendant six ans. Ce natif du département ne semble pas nerveux à l’approche de son ordination qui sera célébrée dimanche 25 juin, en la cathédrale de Nantes.

S’asseyant dans la salle commune, il raconte son parcours et une vocation très précoce, « à l’âge de 10 ans ». Mais estimant ne pas être prêt au sortir de ses études, il entre dans l’enseignement et devient professeur des écoles puis directeur d’un établissement primaire catholique.

Douze ans plus tard, il se décide à franchir les portes du séminaire. « Il y a une vraie continuité entre le sacerdoce et le métier de professeur, explique Pierre Biehler. Nous sommes là pour enseigner, conseiller et accompagner. »

Un triptyque qui lui tient à cœur, notamment en raison des difficultés que traverse l’Église en France. Il confie être conscient de la possibilité d’être affecté seul à une paroisse de plusieurs clochers. « On voit bien qu’il y a de moins en moins de prêtres et des querelles entre les catholiques de différentes sensibilités : entre les identitaires et ceux qui veulent vite réformer l’Église », développe-t-il, se disant « peiné » par les tensions.

Lui-même a fait le choix de ne porter ni la soutane ni le col romain, mais désire avant tout maintenir des liens avec toutes les chapelles. « Je crois qu’il faut se rencontrer et prendre le temps de s’écouter », affirme-t-il.

Pierre Biehler pose un regard similaire sur les divisions engendrées par le synode sur la synodalité, dont l’instrument de travail a été publié ces derniers jours. Diaconat féminin, ordination de prêtres mariés… « Je ne pense pas que ce soit prioritaire même s’il est important d’entendre les questions des baptisés, assume-t-il. Ce sont des sujets de blocages sur lesquels il y aura des gagnants et des perdants malheureux », ajoute l’ordinand, évoquant un « risque de schisme ».

« Être chrétien, c’est aussi accepter des limites »

Autant de sujets qui, selon lui, rejoignent une seule et même question : « Comment est-ce que l’Église rejoint le monde ? » À cette interrogation Pierre Biehler met en avant l’indispensable lutte en faveur du climat, citant tour à tour les encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti du pape François. « Ce sont les passerelles avec la société et surtout avec la jeunesse, argumente-t-il en souriant. Vivre l’écologie intégrale me semble une priorité, avant de se demander comment réformer. »

Le futur prêtre l’affirme : être chrétien en 2023, « c’est aussi accepter qu’il y ait des limites, même si on n’aime pas les limites dans notre société ». Aussi bien en matière d’écologie que de bioéthique, de fin de vie, « il y a des choses qui nous sont données par notre nature humaine, par la Bible, la tradition, le magistère », estime Pierre Biehler.

Pierre Biehler, 40 ans, anciennement professeur des écoles, va se faire ordonner prêtre le dimanche 25 juin 2023 à Nantes. / Ophélie Loubat pour La Croix

« Il y a quelques interdits qui nous évitent de tomber dans le précipice et qui permettent d’obtenir une grande liberté dans l’Église », poursuit-il. Des limites que l’ancien enseignant ambitionne de transmettre à ses paroissiens, en s’appuyant sur les laïcs de sa future paroisse pour exercer son ministère.

À quelques centaines de kilomètres à l’est, dans le diocèse rural de Moulins (Allier), Foucauld Pommier s’est aussi préparé à son ordination. Ce jeune homme de 27 ans a très tôt acquis la certitude qu’il voulait consacrer sa vie à Dieu. Après un IUT de chimie, Foucauld Pommier est donc entré au séminaire, et deviendra prêtre diocésain. « Je trouve cela très noble, de donner sa vie pour une terre, pour une population en particulier », confie-t-il.

Au cours de son temps passé en paroisse, il a aimé « accompagner les gens dans le quotidien ». Pour lui, un curé est aussi « un médecin des âmes » : « Je crois que mon rôle, c’est de faire monter vers Dieu les prières de son peuple, et de manifester au monde que Dieu l’appelle. » Lorsqu’il a accompagné des personnes aux sacrements, célébré des baptêmes ou des mariages, Foucauld Pommier avait ainsi la sensation émerveillée d’être « spectateur de la grâce de Dieu », qui « offrait aux gens un cadeau magnifique ».

« Moi je suis celui qui, au lieu de quitter le navire, monte dessus »

Jeune séminariste, il a rapidement été bousculé par des affaires d’abus qui éclataient autour de lui : ici, un ancien prêtre de l’aumônerie qu’il accompagnait reconnu coupable ; là un ami qui lui a confié avoir été victime. « J’ai pris cela de plein fouet », se souvient-il.

Alors sur l’Église, il n’est pas naïf. « C’est une vieille dame ridée, atteinte par la lèpre à certains endroits », dit-il. « Mais derrière ces rides, elle a un cœur brûlant, que je veux servir. »

Foucauld Pommier est pourtant conscient de faire un choix à contre-courant. « On a parfois l’impression que l’Église est comme le Titanic, qu’elle fonce droit vers l’iceberg. Et puis moi je suis celui qui, au lieu de quitter le navire, monte dessus. » Il devient pensif. « Parce que les murs peuvent tomber, l’Église sera toujours là… L’Église, ce n’est pas les murs, mais les personnes qui prient dans ces murs. »

Foucauld Pommier, 27 ans, en retraite à l'Abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire avant son ordination en tant que prêtre à Moulins, dans l’Allier. / Ophélie Loubat pour La Croix

Cette Église, il l’a connue dans les petites communautés chrétiennes du monde rural. Là, « on voit davantage le bien que le mal », estime-t-il. Dans les campagnes, où « l’Église est parfois la dernière institution présente », « ce sont les chrétiens qui portent le Secours catholique, la Croix-Rouge, Emmaüs, insiste-t-il. Ce sont eux qui font vivre la charité. »

« Comment va-t-on faire ? »

Alors oui, il veut servir l’institution parce que « les murs de l’Église ne sont peut-être pas très jolis, mais ils permettent que des gens y rentrent pour prier, et forment une communauté », croit-il.

Cette ordination est aussi un saut dans l’inconnu, avec des questions sans réponse. Dans son diocèse, les prêtres seront moitié moins nombreux dans dix ans. « Ce qui fait peur, c’est de se demander comment on va faire. »« On voit bien que les gens ne viennent plus à la messe, mais comment leur montrer pourquoi c’est si beau la messe, pourquoi c’est si important ? », demande-t-il avec insistance. « Tout ce qui nous fait vivre, sentir que les autres ne le vivent pas, c’est parfois dur. »

Cette semaine, en retraite à l’abbaye de Fleury, à Saint-Benoît-sur-Loire, Foucauld Pommier se prépare tout de même avec confiance. « Ce qui a été fondamental pour moi, c’est de prendre conscience que Dieu était avec moi tous les jours. Lui de toute façon sera là. C’est tout ce qu’il me faut pour avancer. »

Source: La Croix