" La nouvelle polémique autour de la liturgie manifeste les impensés du catholicisme français "

June 27, 2023
446 views

Il aura donc suffi d’un motu proprio papal faisant dans l’éparpillement façon puzzle, d’un effet rattrapage face aux intempéries de 2022, d’un plan média fort bien maîtrisé et d’une tribune d’un ancien vicaire général en exil pour qu’une partie du catholicisme français s’offre le luxe d’une nouvelle polémique autour de la liturgie, et donc de tout le reste. Il a ainsi de nouveau manifesté trois de ses impensés.

D’abord, l’obsession unitaire. En effet, en schématisant assez vigoureusement, les « conciliaires » veulent imposer aux « traditionalistes » de s’inscrire à l’intérieur du cadre posé par Vatican Ⅱ, en reconnaissant tangiblement sa légitimité et sa supériorité. Alors qu’ils ont théorisé et pratiqué l’inculturation, y compris en Occident où la pastorale a dû massivement s’adapter à la modernité tardive, ils demeurent incapables d’envisager que les « traditionalistes » puissent être une des formes de la culture catholique occidentale. Ils postulent que ne peuvent coexister avec la même légitimité deux formes du catholicisme, d’autant qu’elles se contestent l’une l’autre.

Coexistence impossible entre traditionalistes et conciliaires ?

Les « traditionalistes » de leur côté critiquent les réformes conciliaires, spécialement en matière liturgique, imaginant l’abolition du nouvel ordo ou son interprétation par l’ancien pour in fine l’y dissoudre. Dans leur majorité, ils n’envisagent pas, et encore moins depuis François, une coexistence pacifique avec les « conciliaires », refusant ou redoutant de devenir une réserve ou un ghetto. Sûrs d’être une forme normative et supérieure du catholicisme, ils ignorent leur propre pluralité, y compris liturgique, malgré les variabilités individuelles, locales ou institutionnelles dans l’appropriation d’un ordo pensé comme intouché, ou presque, depuis toujours, et des disputes récurrentes (forme de la participation des fidèles, messe dialoguée…).

Ensuite, l’illusion de la permanence. Les deux camps se revendiquent d’une pure authenticité catholique, sans solutions de continuité. Pourtant, dans ses rituels, ses théologies, ses spiritualités, ses pastorales, le catholicisme post-Vatican Ⅱ est une mutation du catholicisme antérieur, jugée nécessaire par ceux qui l’ont réalisée, lesquels postulaient qu’il y aurait continuité essentielle malgré les transformations formelles, l’autorité conciliaire garantissant la validité du processus.

Réappropriation d’une pratique

Les hiatus liturgiques sont ainsi occultés, alors que la distance entre Sacrosanctum concilium et les rites réformés est conséquente, puisque, selon une logique administrative, les technocrates firent endosser par les instances dirigeantes des choix allant bien au-delà de ce qu’elles avaient voulu. La légitimité « traditionaliste » se construit sur cette distance, en affirmant maintenir sans faille ce qui s’est toujours fait avant. Mais cet avant est récent, sur des points peu anecdotiques, tels le bréviaire, radicalement réformé en 1911, ou la Semaine sainte, profondément transformée en 1955, ce qui a conduit des « traditionalistes » à revenir à la Semaine sainte d’avant 1955.

Cette réappropriation d’une pratique disparue est caractéristique du « traditionalisme ». Outre qu’il maintient des formes jugées obsolètes par les « conciliaires », il réinvente des us en partie tombés en désuétude et restitue de manière contemporaine des formes (paramentique, mobilier liturgique, espaces rituels) dans l’état d’avant leurs transformations des années 1920-1960. Si, pour les « traditionalistes », ce n’est pas l’essentiel puisque seule compte la conservation de « la messe de toujours », ce sont pourtant bien des nouveautés qui sont placées sous l’étiquette de « la Tradition », nouveautés du fait même d’être réactivées volontairement par et pour des groupes en relation critique avec l’institution.

Enfin, le rôle des médiations institutionnelles. Le catholicisme « conciliaire » a fait le choix de l’héroïsme individuel, de l’implication personnelle, passant par pertes et profits tout usage de la pression sociale pour faire adhérer à ce qu’il est et assurer sa place dans la société. Il n’attend rien du politique et des logiques sociales assurant la reproduction des institutions, hormis pour la famille et l’école. Il voit donc d’un mauvais œil les « traditionalistes » prétendant vouloir « restaurer la chrétienté ». Il dit ainsi sa mauvaise conscience d’avoir fait disparaître ce qui lui assurait une présence autre que patrimoniale, surtout lorsqu’il voit l’efficacité des minorités agissantes travaillant à transformer la société. Il s’illusionne pourtant en pensant que pourrait renaître un catholicisme « constantinien ».

Les « traditionalistes » sont trop peu nombreux pour peser

Les « traditionalistes » ne se sont jamais accordés sur un quelconque projet politique, et la rhétorique de chrétienté sert surtout à la mobilisation interne, au service d’une transmission familiale relayée par l’école, cette pression sociale fort localisée alimentant un investissement individuel plus ou moins intense et une reproduction plutôt réussie. Les agitations ponctuelles et médiatisées ne peuvent cacher leur massive inefficacité, ni que les pouvoirs publics préfèrent largement les « conciliaires », dont l’opposition euphémisée à la modernité avancée et l’institutionnalité ne les fait pas encore suspecter de « séparatisme » ou de confusion du politique et du religieux. Les « traditionalistes » sont aussi trop peu nombreux (100 000 sans doute, toutes obédiences confondues) pour peser, quand bien même ils supputent, avec leur fécondité supérieure en enfants et vocations, être un jour la majorité des pratiquants et du clergé. Mais une projection n’est qu’une hypothèse, et 20 000 pèlerins de Pentecôte, français et étrangers, pèsent moins que les pratiquants dominicaux de Paris ou du diocèse de Versailles, et représentent 5 % des donateurs annuels au denier du culte – et la moitié du nombre d’abonnés au stade Vélodrome. Quant à la pluri-observance (les « tradismatiques »), elle est minoritaire, et peut-être est-elle plus liée à l’âge (les moins de 30 ans) qu’à la génération (elle existait avant 1988).

À lire aussi Pourquoi les familles catholiques ont du mal à transmettre leur religion

Faut-il parler d’une controverse pour rien ? Peu importe à l’historien profitant des circonstances pour analyser l’immédiat à partir de ce qui fut. Il laisse ceux qui le veulent se saisir de ses dissections, au risque qu’ils en ignorent la modalité, celle d’un savoir critique et autonome en son ordre, peu utile pour répondre aux deux angoisses modernes du catholicisme : « Que faire ? », « Qui vive ? »

Source: La Croix