Crise du logement : ces Bretons qui construisent une maison dans leur jardin

June 28, 2023
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Au fond de son lotissement, à deux pas du bourg de Val-d’Izé (35), Joseph ne regrette pas une seconde. En mars, un couple « super » a emménagé dans la maison construite sur ce qui était autrefois un bout de son jardin. Une parcelle de 900 m² à l’origine où il a passé l’essentiel de sa vie. Mais en 2016, sa femme Madeleine est tombée malade. « Je devais passer beaucoup de temps avec elle. » Plus le temps d’entretenir le terrain. Autant se séparer d’une partie.

Le septuagénaire a réalisé l’opération grâce au « Bimby », acronyme de « Build in my backyard » (construire dans mon jardin, en anglais). Le dispositif, expérimenté dans le Pays de Vitré, propose d’accompagner les propriétaires prêts à vendre une partie de leur parcelle. Un « gagnant-gagnant », selon l’intercommunalité, qui arrange à la fois les vendeurs et les acquéreurs, tout en limitant l’étalement urbain.

À cinq minutes de là, à Landavran (35), les deux trentenaires Gwendoline et William viennent tout juste de prendre quartier dans leur pavillon neuf. Elle, infirmière, a grandi ici ; lui vient de Paris, où ils ont vécu le confinement du printemps 2020. La promiscuité a précipité leur projet de déguerpir à la campagne. « On cherchait une maison ancienne au départ mais rien n’entrait dans notre budget. »

C’est la sœur de Gwendoline, conseillère municipale, qui entend parler de la solution Bimby. Le terrain est tout trouvé : sa mère, veuve, propose de donner au jeune couple une partie de ses 2 500 m². En moins de deux ans, l’affaire est bouclée. « Heureusement qu’on a été accompagnés car on aurait été vite bloqués ! La procédure est compliquée et on n’y connaissait rien. »

La division parcellaire intéresse de plus en plus les mairies bretonnes, confrontées au casse-tête du logement. La vieille habitude - acheter des champs pour y aménager des lotissements - est aujourd’hui condamnée. La loi oblige en effet les communes à ralentir leur étalement urbain, jusqu’à atteindre le « Zéro artificialisation nette » des sols en 2050 (Zan). Elles vont donc devoir combler les dents creuses, construire des immeubles en centre bourg… Bref, se densifier. Avec le risque de mécontenter les habitants, opposés au chamboulement de leur territoire.

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« Densification douce »

Un écueil évité par le Bimby, estime Thomas Hanss. Sa start-up Villes Vivantes, seule sur le créneau, est celle qui a mené l’expérience dans le Pays de Vitré. D’autres programmes sont en cours à Morlaix et Châteaubourg. « C’est une densification douce, qui respecte le tissu urbain. Cela permet l’acceptation par les riverains. » Autre avantage : construire un logement adapté aux vieux jours et éviter la maison de retraite. Ou s’assurer une rentrée financière pour payer les études des enfants.

À Vitré, 72 projets ont abouti en 21 mois. « Et on n’a fait qu’effleurer le potentiel », selon Thomas Hanss. En France, on estime que diviser 10 % des jardins permettrait de répondre à la totalité des besoins de logements de la décennie. En Bretagne, très adepte des lotissements, les plus anciennes parcelles peuvent souvent accueillir une ou deux maisons supplémentaires. Encore faut-il lever les réticences des voisins ou des héritiers, adapter les règles d’urbanisme… « Ce n’est pas facile », reconnaît Thomas Hanss.

Le Bimby est tout de même identifié comme une solution par la Région Bretagne, chargée de mettre en place le Zan. « Mais il faut faire attention, car cela peut conduire à nous priver de terrains qui pourraient accueillir des projets plus ambitieux que quelques maisons », note Laurence Fortin, vice-présidente à l’habitat. Reste une question : construire dans les jardins, n’est-ce pas une autre forme de bétonisation des sols ? La loi les considère aujourd’hui comme des surfaces artificialisées. Mais les règles pourraient évoluer après 2030.

Source: Le Télégramme