Transition écologique : " Il est déraisonnable d’attendre des panneaux solaires et des éoliennes plus qu’ils ne peuvent offrir "
L’histoire de l’énergie est une histoire d’accumulation : depuis deux siècles, toutes les énergies n’ont toujours fait que croître. L’histoire de l’énergie est aussi une histoire de symbiose : il faut énormément de bois pour extraire le charbon, énormément d’acier et donc de charbon pour extraire du pétrole. Si l’on parle beaucoup des énergies nouvelles, les énergies que nous utilisons sont anciennes. En 2022, le bois produit par exemple deux fois plus d’énergie finale que le nucléaire dans le monde. En Europe, le bois pèse plus lourd que toutes les autres renouvelables réunies. Et, bien évidemment, le pétrole et le charbon continuent de croître.
Le fait que le solaire et l’éolien soient devenus compétitifs, y compris face au charbon, pourrait faire croire qu’après tant de faux départs la transition serait bel et bien engagée, que le monde est sur le point de changer de base. Il ne s’agit pas ici de critiquer la « transition », si on entend par ce terme le développement des énergies renouvelables. Mais il est déraisonnable d’attendre des panneaux solaires et des éoliennes plus qu’ils ne peuvent offrir.
Premièrement, la production électrique ne représente que 40 % des émissions mondiales, et 40 % de cette électricité est déjà décarbonée. Sortir les fossiles de la production électrique mondiale avant 2050 représenterait un succès aussi extraordinaire qu’insuffisant au regard des objectifs climatiques. Faire de l’électricité sans carbone n’est d’ailleurs pas une grande nouveauté : une cinquantaine de pays très différents – de l’Ethiopie à la Suisse, en passant par la France, le Brésil ou l’Uruguay – ont déjà largement décarboné leur électricité… sans que cela ne provoque une baisse drastique de leurs émissions !
Deuxièmement, comme toutes les autres énergies, les renouvelables sont prises dans un écheveau infini de symbioses matérielles. Selon des calculs récents, la construction d’une infrastructure de production énergétique renouvelable à l’échelle mondiale représenterait environ 50 gigatonnes de CO₂ pour fabriquer les panneaux solaires et les éoliennes ainsi que les matériaux qui les composent. Cela veut dire qu’il faudrait orienter 3 % des fossiles vers la production des infrastructures renouvelables.
Pur acte de foi
Bien plus problématiques, en revanche, sont les symbioses qui se produisent en aval, dans le monde de la consommation. Panneaux solaires et éoliennes réduisent l’empreinte carbone de la production électrique, mais cette électricité alimente un monde qui, dans sa matérialité même, repose et reposera encore longtemps sur du carbone. La raison en est que les renouvelables sont incapables de produire de manière compétitive à une échelle suffisante et dans les temps impartis des matériaux comme l’acier, le ciment et le plastique dont dépendent les infrastructures, les machines et la logistique contemporaines.
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Source: Le Monde