Violences après la mort de Nahel : au tribunal de Bobigny, la justice tente de répondre à l'afflux de comparutions immédiates
Plus de 3 300 personnes ont été interpellées à l'issue de six nuits d'émeutes en réaction à la mort de l'adolescent de 17 ans, tué par un policier à Nanterre. Mais les tribunaux judiciaires, comme celui de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, peinent à faire face.
Les applaudissements nourris de la salle d'audience, bondée, accueillent la décision de justice. Le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a prononcé, lundi 3 juillet, une remise en liberté immédiate pour trois prévenus renvoyés pour avoir jeté des cocktails Molotov sur le commissariat de Neuilly-sur-Marne, avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis en réunion. "Les trois fiches d'interpellation ne sont ni signées ni datées", constate, avec étonnement, le président de la 17e chambre. Le magistrat ordonne, par conséquent, l'annulation de la procédure, en vertu de l'article 429 du Code de procédure pénale. Fait rare, le procureur, avait, quelques minutes plus tôt, requis lui-même la nullité de la procédure : "Probablement que les procès-verbaux ont été rédigés trop vite. C'est frustrant, car l'infraction est grave. Mais il y a un problème de procédure."
L'affaire, jugée en comparution immédiate, illustre les suites judiciaires des violences urbaines qui touchent la France depuis la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué par un policier à Nanterre lors d'un contrôle routier. En six nuits d'émeutes, 3 354 personnes ont été interpellées, selon un bilan du ministère de l'Intérieur communiqué lundi matin. Au total, 570 d'entre elles ont été déférées devant un juge et 260 envoyées en comparution immédiate, a précisé une source judiciaire à franceinfo. Les personnels de justice sont mobilisés "pour essayer au mieux de répondre à cette masse de procédures", a assuré Raphaël Balland, président de la Conférence nationale des procureurs de la République, sur franceinfo.
"La détention doit rester exceptionnelle"
Mais dans les faits, les dossiers liés aux émeutes des derniers jours s'ajoutent au flux quotidien d'affaires traitées par la justice et engorgent les tribunaux, avec, en plus, des perturbations liées à la grève des greffiers. Lundi après-midi, quatorze prévenus ont été jugés lors de l'audience de comparution immédiate devant la 17e chambre de Bobigny, dont onze pour des faits en lien avec les violences urbaines des derniers jours. Trop de dossiers à examiner pour le président, qui a renvoyé une affaire au 11 septembre pour surcharge.
Mais le magistrat n'est pas le seul à pouvoir demander un renvoi. Les prévenus ont la possibilité de demander un délai pour préparer leur défense. Cette seconde option est choisie par trois hommes d'un groupe de vingt personnes interpellées dans la nuit de vendredi à samedi à Saint-Denis, pour participation à un groupement en vue de commettre une infraction et outrage à agent. En attendant, leurs avocats plaident le placement sous contrôle judiciaire et exhortent le président à ne pas les placer en détention provisoire. "Il a 44 ans, il travaille depuis ses 20 ans, n'a pas de casier judiciaire", plaide une avocate, qui dénonce une "instrumentalisation" des juges du siège.
"Taper fort, ce n'est pas un message positif pour que l'animosité dans les quartiers puisse s'éteindre." Une avocate devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny
Les deux avocats qui lui succèdent ont le même message. "La détention doit rester une mesure exceptionnelle, y compris en ce moment", observe une consœur.
"On sort de l'individualité de la peine"
"Il y a une pression sociale, donc on applique une punition collective pour sanctionner ce qu'il se passe en France", accuse, en marge de l'audience, John Bingham, avocat au barreau de Bobigny. Une façon de répondre au ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, qui a demandé, dans une circulaire émise vendredi, "une réponse judiciaire rapide, ferme et systématique" envers les auteurs de dégradations et de violences. "J'ai demandé des déferrements systématiques, que les procureurs requièrent des mesures de sûreté, bref de l'emprisonnement, chaque fois qu'on s'en prend aux personnes", a encore déclaré le garde des Sceaux lundi sur France Inter.
"On sort de l'individualité de la peine", oppose John Bingham, qui plaide le placement sous contrôle judiciaire de son client. Cet homme noir, grand, est debout dans le box avec un œil tuméfié. "Monsieur a porté plainte pour les violences qu'il a subies. Tout à fait injustifiées, car il était menotté lorsqu'il a fait l'objet de violences. Il veut rétablir la vérité. Il est traumatisé, au sens physique, mais aussi au sens psychologique", poursuit l'avocat. Son client sera suivi par le président du tribunal, malgré les réquisitions de placement en détention provisoire répétées du procureur.
Ce n'est pas le cas du premier prévenu, placé en détention provisoire, en raison du risque de réitération des faits. Il sera jugé le 3 août. Deux heures plus tard, un autre homme, dont le casier judiciaire comporte plusieurs mentions, est condamné à huit mois de prison ferme pour un vol de cigarettes, colis et caisse enregistreuse dans un bar-tabac de Neuilly-sur-Marne. Une peine conforme aux réquisitions du procureur.
Source: franceinfo