Au Soudan, le mythe arabe de la " stabilité " contre-révolutionnaire a volé en éclats

April 30, 2023
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De la fumée s’échappe d’une zone de Khartoum, où les combats se poursuivent entre l’armée soudanaise et les forces paramilitaires, le 28 avril 2023. AFP

La vague de protestation populaire qui a secoué le monde arabe en 2011 a été improprement qualifiée de « printemps », alors qu’il s’agissait seulement du début d’une crise révolutionnaire de longue durée provoquée par la faillite de régimes corrompus et répressifs. La contre-révolution arabe a, en revanche, été d’une férocité sans précédent, soutenue qu’elle était à fonds perdu par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

Malgré les sommes colossales ainsi englouties, le statu quo n’a nulle part pu être restauré : Abdel Fattah Al-Sissi, dont le coup d’Etat de 2013 a clos la parenthèse pluraliste en Egypte, continue, dix ans plus tard, de détenir soixante mille prisonniers politiques, tandis que son émule libyen, Khalifa Haftar, a échoué à s’emparer de Tripoli, malgré les deux conflits qu’il a déclenchés en 2014 et 2019, conflits bien plus destructeurs que la guerre civile fatale, en 2011, au colonel Kadhafi. Quant à la Syrie et au Yémen, jamais une telle dévastation ne leur avait été infligée.

La surprise soudanaise

Les autocrates arabes ont pourtant martelé que seul leur maintien au pouvoir garantirait la « stabilité » au sud de la Méditerranée. Une telle imposture a malheureusement été relayée par de nombreux dirigeants occidentaux pour qui le monde arabe n’était plus composé de peuples aux aspirations légitimes, mais était avant tout devenu un espace à verrouiller, afin de mieux contenir l’immigration illégale et le terrorisme djihadiste. Ces dirigeants furent naturellement pris de court lorsque la contestation arabe reprit en 2019 dans des pays qui l’avaient ignorée en 2011 : l’Algérie, où l’armée dut déposer le président Bouteflika sous la pression du Hirak ; le Liban et l’Irak, où des manifestations de masse prônaient une authentique citoyenneté face au système communautaire et milicien ; et surtout le Soudan, où un soulèvement populaire mettait un terme à trois décennies de la dictature militaro-islamiste d’Omar Al-Bachir.

Les forces révolutionnaires acceptèrent alors une période de transition dont l’autorité suprême reviendrait, durant les deux premières années, au chef des armées, le général Abdel Fattah Al-Bourhane, avant d’être transférée à un dirigeant civil.

Mais, en octobre 2021, Al-Bourhane perpétra un putsch qui, comme au Caire, huit ans plus tôt, était censé refermer la parenthèse démocratique. Il s’avéra que le chef des armées soudanaises n’avait jamais eu l’intention de se soumettre à un pouvoir civil. Son coup de force fut naturellement soutenu par l’Egypte, ainsi que, plus discrètement, par l’Arabie saoudite et par les Emirats arabes unis, inquiets de la contagion révolutionnaire, alors même que les militaires soudanais contribuaient à leur campagne du Yémen. Cette alliance des autocrates reçut l’appui déterminé de la Russie, pour qui le Soudan des militaires constituait une base d’expansion vers le reste du continent africain.

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Source: Le Monde