Jean-Luc Mélenchon, la dérive d’un ancien héraut de la République

July 06, 2023
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Élisabeth Borne l’a martelé à la tribune de l’Assemblée nationale, mardi 4 juillet : Jean-Luc Mélenchon est sorti du « champ républicain » en refusant de « condamner clairement les violences ».

Mercredi 28 juin, après le meurtre par un policier du jeune Nahel, 17 ans, dans le contexte d’un refus d’obtempérer en voiture, des violences embrasent plusieurs villes. Jean-Luc Mélenchon réagit sur les réseaux sociaux : « Les chiens de garde nous ordonnent d’appeler au calme. Nous appelons à la justice. » Depuis, ses soutiens tentent des explications de texte : « Ce n’est pas parce que les Insoumis ont refusé “d’appeler au calme”, qu’ils veulent les violences », martèle Bastien Parisot, son responsable des campagnes numériques.

Qu’importe : les propos isolent son auteur. Même Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, s’est démarqué de celui que son parti a longtemps soutenu : « Je me désolidarise totalement des propos de Jean-Luc Mélenchon qui a refusé d’appeler au calme et qui a légitimé cette violence », dénonce le communiste.

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Pour beaucoup, cette sortie n’est qu’une étape de plus dans une dérive progressive de l’ancien héraut d’une gauche jacobine attachée à la République indivisible, laïque, démocratique, sociale et souveraine. Au-delà de la stratégie controversée de LFI à l’Assemblée nationale contre la réforme des retraites, retour sur deux moments clés qui ont marqué une mutation de son leader.

La question de l’« islamo-gauchisme »

Dimanche 10 novembre 2019. Jean-Luc Mélenchon manifeste pour dire « stop à l’islamophobie » aux côtés de personnalités et groupes réputés islamistes, dont le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui sera dissous par l’État en décembre 2020. L’appel à manifester, qu’il a signé, dénonçait des lois françaises qualifiées de « liberticides ». Si ce texte ne les mentionne pas, dans la rhétorique islamiste ce terme vise la législation de 2004 interdisant de manifester « ostensiblement » une appartenance religieuse dans les établissements publics et celle de 2010 prohibant la dissimulation du visage dans l’espace public, dont le voile intégral. Ce rapprochement a alimenté l’accusation d’« islamo-gauchisme ».

L’évolution de Jean-Luc Mélenchon sur la laïcité et l’universalisme, au prix de ruptures internes au sein de son mouvement, a été analysée par Manuel Cervera-Marzal dans son ouvrage sur Le Populisme de gauche (La Découverte). Le sociologue détermine comme moment de bascule les « Rencontres nationales des quartiers populaires », organisées par Éric Coquerel et Danièle Obono en novembre 2018 en Seine-Saint-Denis. Un département où LFI compte actuellement neuf des douze députés. Cette évolution de sa pensée « s’explique autant par des considérations électoralistes que par la montée de l’islamophobie en France », à laquelle il réagit, décrypte Manuel Cervera-Marzal.

« La République, c’est moi »

Mardi 16 octobre 2018. Perquisitions, dans le cadre d’une enquête sur des financements politiques. À son domicile, il se filme sur son mobile : « Ma personne est sacrée, je suis parlementaire (…). C’est moi Mélenchon avec mon écharpe tricolore, je n’ai peur de personne. » Puis au siège de LFI, il est filmé en criant : « La République, c’est moi ! »

Dans un livre, Et ainsi de suite. Un procès politique en France (Plon), l’intéressé fera l’exégèse historique et philosophique de ses propos. Trop tard, trop intello à l’heure des réseaux sociaux, car, comme il le reconnaîtra lui-même, cette image mégalomane et colérique l’a « bien amoché » dans l’opinion publique. Il en sera d’ailleurs condamné par la justice pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation ».

Jean-Luc Mélenchon revendique cet épisode comme celui d’un basculement idéologique. Dans le même livre, il écrit en effet : « Ma culture personnelle ne fait de moi ni un anti-flic ni un anti-magistrat. Au contraire, ma religion républicaine me les faisait voir comme les serviteurs d’un idéal que je révère. Dans le contexte du système macroniste, quelque chose de cette confiance m’est tombé du cœur comme du bois mort. Au fond, c’est comme ce jour de notre enfance où nous avons compris que le Père Noël n’existait pas. » Une rupture qui le conduit aujourd’hui à reprendre le slogan généralisateur « la police tue ».

Il s’agit de l’une des motivations, avec la dénonciation d’un « racisme systémique » en France, des « marches citoyennes » que LFI organisera, samedi 8 juillet, aux côtés d’autres organisations de gauche et d’extrême gauche.

Source: La Croix