"On avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête": Les Salles, un village varois condamné à disparaître pendant plus de 70 ans

July 08, 2023
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C’est un projet qui traîne dans les cartons depuis la fin du XIXe siècle. Pour étancher la soif d’eau potable et d’électricité des littoraux de Toulon et Marseille, la "cuvette de Sainte-Croix" doit disparaître sous les eaux via un barrage hydroélectrique, construit au niveau de l’étroite embouchure des gorges de Baudinard. Un défi technique insurmontable au début du XXe siècle, mais qui se concrétise grandement à l’aube des années 1960.

Le conseil général des Basses-Alpes donne, en effet, son accord de principe pour la construction de l’édifice. Peu avant, en 1958, des demandes de concession relatives à l’utilisation de l’eau du Verdon sont demandées par la société d’économie mixte du canal de Provence et de l’aménagement de la région provençale – aujourd’hui société du canal de Provence (SCP) –, avec la participation d’Électricité de France (EDF) en tant que maître d’ouvrage. Prémices d’une construction imminente…

"On avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête", se souvient René Rouvier, alors jeune habitant des Salles. Le futur lac doit recouvrir leur village sous 761 millions de m³ d’eau, ainsi que 2.180 hectares de terres, dont une majeure partie cultivable.

Une pilule plus que difficile à avaler pour nombre d’habitants, loin d’être prêts à abandonner leur lieu de vie et leurs terres fertiles.

Plus personne n’y croyait

Certains pensaient ne jamais voir "l’indicible" se produire. "Il y a cinquante ou soixante ans qu’on en parle et cela ne se réalise pas!", rapporte à l’époque Nice-Matin, parti enquêter sur place en 1965.

Certains disent préférer mourir plutôt que de voir leurs repères engloutis. "On ne remplacera pas ce qui sera détruit et Les Salles c’est un pays où il fait bon vivre. Pourquoi détruire tout cela?, interroge alors Isidore Taxil, buraliste bien connu des villageois. J’ai toujours pensé que je ne le verrai pas ou que je mourrai auparavant. C’est tout ce que je désire."

L’angoisse se transforme peu à peu en résignation. "Il y a, dans cette affaire, une impression de silence et d’abandon qui risque de disparaître subitement pour faire place à la brutale réalisation [que le projet de barrage se concrétisera] ", écrivait alors le journaliste.

En résumé: "Les habitants ne veulent pas y penser."

80% de vétusté, faute d’espoir

Maquette de la vallée avant l’avènement du lac de Sainte-Croix, au musée des Salles-sur-Verdon. Photo Philippe Arnassan.

Anticipant la fin, beaucoup de Sallois cessent d’entretenir leurs maisons. "À quoi bon restaurer ce qui, de toute façon, disparaîtra?", expliquent-ils.

Certains entreprennent des travaux qu’ils ne finissent pas. Résultat: le coefficient de vétusté de la commune atteint les 80%, selon le barème utilisé à l’époque.

Derniers signes qui marquent la fin d’une ère, journalistes et historiens arrivent par vagues au village. Micro et caméra à la main, ils tiennent à capter les derniers instants de la vie des Sallois.

En 1972, l’heure n’est plus au déni. Le barrage hydroélectrique est en train de prendre forme en aval. Et les premiers avis d’expropriation arrivent dans les boîtes aux lettres.

Source: Var-matin