ai-je le droit, et qu'est-ce-que je risque ?
S’abonner à Netflix dans un pays où il coûte moins cher : des internautes parviennent encore aujourd’hui à profiter d’une offre autre que celle de leur pays. Si cette pratique leur permet de faire des économies, est-elle licite ? Et quels risques encourent-ils ?
C’est une question qui revient régulièrement sur le tapis, et qui ne trouve souvent pas de réponse : alors que vous faites partie des petits malins qui passent par des VPN pour souscrire un abonnement Netflix moins cher à l’étranger, vous vous demandez : qu’est-ce que je risque à faire cela ? Est-ce-légal ? Bonne nouvelle : la réponse se trouve dans cet article.
La « combine » : un VPN et une souscription dans un pays moins cher
Reprenons depuis le début. Cela fait des années que s’échangent sur le Web des combines à ce sujet. Leur promesse : en suivant toutes les étapes, vous pourrez profiter de n’importe quel abonnement Netflix en payant une souscription moins importante que celle demandée en France – à savoir 5,99 € pour la version avec publicité, et 13,49 € pour la version standard.
Il suffirait, m’explique « Thierry », un utilisateur qui souhaite rester anonyme, d’ouvrir un compte Netflix en France et de payer son abonnement au prix français le premier mois. La souscription doit ensuite être annulée, puis réactivée le mois suivant – cette fois en se servant d’un VPN qui va faire croire à la plateforme de streaming que vous êtes en Turquie, en Égypte ou en Argentine, des pays où les tarifs sont bien moins chers. Comptez par exemple pour un abonnement basique 4,93 € pour la Turquie – le prix a augmenté en avril, et 2,05 € pour l’Égypte. Pour rappel, un « Virtual Private Network » (VPN ou réseau privé virtuel en français) est un service souvent payant qui permet de naviguer sur le Web de façon sécurisée. Grâce à cet outil, il est possible de modifier sa position et de contourner les blocages géographiques potentiels des sites et des plateformes.
Dans le cas de Netflix, un utilisateur qui a un compte créé en France aura accès au catalogue que la plateforme a négocié pour l’Hexagone. Il devra normalement payer un abonnement français. Mais voilà, Netflix est une plateforme internationale. Il est donc parfaitement entendu – comme on peut le voir dans cette FAQ de la plateforme – qu’un abonné français pourra, s’il est en voyage aux États-Unis par exemple, profiter du catalogue de Netflix USA et regarder la profusion de films et de séries négociés pour ce territoire en particulier. Ce qui signifie plus de contenus et des dates de sortie en avance par rapport à celles proposées dans l’Hexagone. Ce sans avoir à payer un supplément.
Netflix moins rigide que les autres plateformes ?
Reprenons le cas de Thierry, qui a souscrit un abonnement à Netflix Turquie contre environ 4,93 € via un VPN. Il n’a ensuite qu’à déconnecter son VPN pour que la plateforme comprenne qu’il se trouve bien en France. Elle lui proposera alors le catalogue français, au tarif turc, affirme Thierry. L’information est corroborée par les très nombreux tutos du Web qui expliquent comment réaliser ce tour de passe-passe que nous n’avons pas directement essayé, mais qui fonctionne très bien.
Cette pratique peut-elle s’appliquer à toutes les plateformes de streaming ou de jeux vidéo ? Inutile de vous jeter sur les VPN pour cette raison, la réponse est négative. De nombreuses sociétés ont mis en place des systèmes de géo-blocages qui repèrent les abonnés borderlines et bloquent leur accès. Mais a priori, ce n’est pas le cas de Netflix qui, comme avec sa politique de partage des comptes, serait moins rigide que les autres – même si la plateforme aurait tendance à durcir les règles ces derniers temps.
Pour Netflix : les utilisateurs de VPN sont cantonnés au catalogue mondial
Mais alors, une telle pratique est-elle licite, et que risque-t-on ? Pour répondre à la question, on s’est d’abord adressé à Netflix. Ces derniers ont rappelé qu’ils ne bloquaient pas les utilisateurs qui se connectaient à leur plateforme avec un VPN. Mais dans ce cas-là, par défaut, ces abonnés auraient uniquement accès au catalogue mondial, des titres sur lesquels Netflix a des droits pour le monde entier. La plateforme négocie en effet les droits de diffusion des contenus pays par pays. En théorie donc, si Netflix détecte que vous utilisez un VPN, elle vous mettrait automatiquement sur ce catalogue mondial – ce qui devrait restreindre fortement le choix de films, séries et documentaires à regarder. Car il est très rare que les droits de diffusion d’un film soient négociés pour le monde entier. Ils sont plutôt accordés par zone régionale, ou par territoire national.
La plateforme n’a ensuite pas souhaité faire d’autres commentaires sur la façon dont elle gérait ces pratiques borderlines, ni sur un possible durcissement des règles constaté par des internautes.
Selon les conditions générales d’utilisation : un cas de non-respect ?
On a ensuite épluché les conditions générales d’utilisation de Netflix. Elles évoquent à plusieurs reprises « des activités frauduleuses » comme le fait de « contourner les protections des contenus ou d’autres éléments dans le cadre du service Netflix » (article 4.6) ou de « ne pas fournir des informations exactes relatives à votre compte » (article 5), qui pourrait amener Netflix à « résilier ou de restreindre votre utilisation de notre service si vous enfreignez les présentes Conditions d’utilisation ou faites une utilisation illégale ou frauduleuse du service ».
Bien que notre cas particulier ne soit décrit nulle part, il s’agit d’une situation évidente de non-respect des conditions générales de la plateforme de streaming. Thierry pourrait donc être éjecté de la plateforme, et voir son abonnement résilié par Netflix. Risque-t-il autre chose ? Pour en savoir plus, nous nous sommes tournés vers un spécialiste : Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit numérique.
Netflix pris entre le marteau et l’enclume
L’expert résume : « Ce n’est pas illégal (au sens de “c’est un délit”) de recourir à VPN, mais en même temps, ce n’est pas illégal pour Netflix que d’exiger que les abonnements souscrits correspondent au lieu de résidence habituelle de l’abonné ». Pour comprendre la situation, il faut d’abord se mettre dans la peau de Netflix, souligne-t-il. Les coûts de la plateforme ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre.
Outre des obligations de financement des œuvres audiovisuelles auxquelles il peut être soumis – ce qui est le cas en France – la société négocie la diffusion de contenus pays par pays. En contrepartie, « elle prend l’engagement auprès des ayants-droits, des producteurs, des auteurs, etc., de faire en sorte que la territorialité soit respectée ». Ce qui explique que Netflix ou d’autres plateformes soient « pris entre le marteau et l’enclume. Ils sont structurellement incités à faire en sorte qu’ils soient de moins en moins tolérants sur des utilisations un petit peu détournées », souligne l’avocat.
Que risque l’utilisateur contractuellement ? Il peut être bloqué par la plateforme. Il peut avoir à payer des frais de résiliation. « Juridiquement, cela correspond à ce qu’on appelle une déclaration frauduleuse, voire un dol, un peu comme pour une assurance. Si vous ne déclarez pas tous les risques, l’assureur peut soit majorer votre prime, soit carrément résilier votre contrat », souligne Maître Archambault. « Si la plateforme savait que vous résidiez en France, elle vous aurait incitée à aller sur l’offre française. C’est un peu une histoire du chat et de la souris, puisque jusqu’à présent, les plateformes étaient relativement tolérantes sur les utilisations un peu détournées. Au fur et à mesure qu’elles se prennent des constats d’huissiers de la part de sociétés d’ayant droit, elles le sont moins », poursuit-il.
Pénalement, Thierry ne risque donc rien. Mais contractuellement, il risque de se faire rappeler à l’ordre et de voir Netflix mettre fin à son contrat. « Ce n’est pas parce qu’il y a une tolérance que c’est un droit acquis, éternel et imprescriptible », résume l’avocat. À noter aussi que Netflix ne pourra pas, d’un coup, vous éjecter de sa plateforme sans préavis ou avertissement. La situation « ne les dispense pas, notamment en raison du droit de la consommation, d’envoyer dans un premier temps un petit courrier ou un email constatant l’utilisation “anormale” et donnant à l’abonné un délai raisonnable pour s’y conformer ». Vous êtes donc prévenus.
Si, comme Thierry, vous avez d’autres questions de ce type, n’hésitez pas à les glisser en commentaires de cet article.
Source: 01net