Japan Expo 2023 : Pourquoi certains mangas très populaires au Japon le sont beaucoup moins en France ?

July 13, 2023
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« Certains genres de mangas, comme le sport, ont longtemps été considérés comme maudits en France », explique le passionné Valentin Paquot. L’utilisation du passé est importante puisque ce sortilège semble peu à peu disparaître. L’avant-première du film d’animation du manga de basket Slam Dunk a par exemple enflammé le Grand Rex à la fin du mois de juin. À chaque panier, dribble ou défense réussie par l’équipe de Shohoku, des applaudissements et des encouragements retentissaient dans ce qui était devenu des tribunes sportives le temps d’un instant. Le film, réalisé par Takehiko Inoue, sort le 27 juillet en France, soit sept mois après le début de sa diffusion au Japon. Là-bas, l’œuvre a été un tel succès qu’il est difficile d’imaginer de même dans l’hexagone.

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A l’instar de Slam Dunk, Golgo 13, Doraemon, Black Jack, KochiKame ou encore Crayon Shin-chan sont des mangas au succès de niche en France mais ultra-populaires au Japon. La France est pourtant le deuxième marché mondial de bande dessinée japonaise. Alors que se tient, jusqu’au 16 juillet, la Japan Expo, 20 Minutes s’est demandé pourquoi certains mangas blockbusters au Japon ne connaissent pas la même popularité en France.

Entre France et Japon, il y a des différences culturelles fortes

« Il y a des différences culturelles fortes entre la France et le Japon. Les publics ne vont pas rechercher les mêmes choses dans la lecture d’un manga » affirme le journaliste manga Valentin Paquot. À ce titre, le manga Kochikame d’Osamu Akimoto est un bon exemple. Jamais éditée en France alors qu’elle fait fureur depuis 1976 au Japon, cette œuvre raconte les mésaventures d’un policier dans son petit commissariat d’arrondissement. Loin d’être honnête, cet homme à la quarantaine d’années s’occupe des ennuis quotidiens comme les petits vols. Et c’est là où le bât blesse pour Julien Bouvard, maître de conférences en langue et civilisation du Japon contemporain à Lyon-3 : « Le niveau d’insécurité en France est tellement différent du Japon que les affaires qui sont traitées dans ce manga nous apparaissent comme des broutilles ». Ce décalage se retrouve aussi dans certains types d’humour. « Le manga comique Docteur Toilette se base sur des gags pipi-caca ou alors sur le dévoilement de la culotte de jeunes filles. Cela ne pose aucun problème dans un référentiel japonais, mais en 2023, en Occident, cela devient problématique ». Diffusée au Japon entre 1970 et 1977 et comptant trente volumes, cette bande dessinée appréciée par les écoliers nippons n’a vu que quatorze récits de sa collection traduits en français en 2019.

Si les références scatologiques surprennent en France c’est par manque de connaissances de la culture japonaise, où les excréments sont des outils humoristiques. Dans un autre registre, Timothée Guédon, éditeur chez la maison Kana, considère que l’échec du manga Doraemon en France s’explique en partie par l’évocation du Japon des années 1960 en toile de fond. « Les enfants et les parents français ont du mal à s’y retrouver ». Pourtant « Doraemon est sûrement la licence la plus populaire au Japon parce que toutes les générations la connaissent », souligne Valentin Paquot. Cette série met en scène un robot-chat bleu ayant pour mission d’aider un petit garçon. Sorti en 1969, ce manga a été adapté en dessins animés, films, goodies, jeux vidéo et le félin a même été nommé ambassadeur spécial pour la candidature de Tokyo aux Jeux olympiques 2020. Toutefois en France, ce drôle de minou ne fait pas le poids face à Tom, Grosminet, Garfield ou encore Oggy. La faute peut être aux techniques de diffusion du dessin animé sur le petit écran. En effet, M6 tente en 2003 de programmer Doraemon dans ses émissions jeunesse. Mais cela est un échec, car la chaîne diffuse des épisodes au graphisme daté de 1979. Depuis, hormis la chaîne Boing en 2014, personne n’a retenté l’expérience.

Doraemon, l'un des personnages les plus populaires de l'animation japonaise, était l'ambassadeur de la candidature victorieuse de Tokyo à l'organisation des Jeux olympiques de 2020. - Koji Sasahara

La France et le Japon ont des lectorats dissemblables

« Le lectorat de mangas en France est concentré sur un public adolescent et masculin », détaille Julien Bouvard. Cela explique donc, selon lui, pourquoi « les mangas pour enfant, comme Doraemon et Anpanman, sont moins populaires en France ». A l’inverse, cette frange de la population préfère « les histoires d’heroic fantasy ou d’aventure aux récits gastronomiques. Car ces derniers ne correspondent pas à leurs stéréotypes de ce que doit être la bande dessinée japonaise » confie-t-il en visioconférence depuis le Japon. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre le succès du manga Fairy Tail. « C’est une série qui fonctionne beaucoup mieux en France qu’au Japon, car le public attend une histoire d’aventure avec des personnages attachants » analyse le professeur à l’université. Il souligne aussi que « le public féminin est beaucoup moins présent en France qu’au Japon » et cela empêche la grande popularité de certains titres. « Une bonne partie du lectorat de Slam Dunk ou de Kuroko’s Basket est féminine au Japon. Ces dernières s’approprient les séries et les beaux personnages pour en faire des Doujinshi, c’est-à-dire des mangas amateurs parodiant ou rendant hommage à leurs œuvres préférées ». Et cela se confirme si l’on regarde les chiffres. Alors que 170 millions d’exemplaires de Slam Dunk se seraient vendus dans le monde, seulement un million l’ont été en France selon les informations de Valentin Paquot.

Natsu est le protagoniste principal du manga Fairy Tail. Ce dernier est un mage appartenant à une guilde et voyageant dans plusieurs univers. - Hiro Mashima

Cette absence de lectorat féminin sur certaines licences, Julien Bouvard, l’éclaire par un échec de cible. « Dans l’hexagone certaines séries sont présentées pour les garçons sans comprendre les sous-textes. Alors que ce sont aussi des séries pour filles. Par exemple, Tokyo Revenger (manga mêlant histoire de gang, romance et science-fiction) fonctionne en France mais pas autant qu’au Japon. Et j’y vois la même raison, même si c’est les protagonistes sont des garçons et que l’histoire est publiée dans une revue pour mecs, le public principal ce sont des lectrices nippones ». Se tromper de destinataire dans la promotion d’un manga est un constat que partage Valentin Paquot et « Crayon Shin-chan en est le meilleur exemple ». Car même si la série suit les aventures d’un petit garçon de cinq ans et de sa famille, un peu comme Les Simpsons, elle « n’est absolument pas un manga pour enfant. C’est un manga à double lecture, qui marche très bien chez les adultes au Japon. Or il est sorti chez l’éditeur J’ai Lu en 2005 et on l’a présentée comme destinée aux enfants ». Dès lors, sa publication est stoppée au bout de quinze titres en France, alors qu’au Japon on en compte cinquante.

« Le fond du problème est qu’on a encore ce mépris de classe pour le manga en France »

La structure du marché de mangas en France peut aussi expliquer les différences de popularité entre la France et le Japon. « Aujourd’hui la compétition entre les éditeurs de mangas français est telle qu’on doit se positionner dès la parution du premier tome d’une série au Japon. Donc nous n’avons pas beaucoup de recul par rapport à son succès », constate Timothée Guédon, éditeur chez Kana. Et cela peut entraîner quelques erreurs car « notre maison d’édition est tellement proche de la culture japonaise qu’on peut manquer de distance et se planter sur les attentes du public français ». Finalement, les éditeurs français n’ont pas beaucoup de moyens d’évaluer les attentes du public hexagonal et c’est aussi ce qu’observe Valentin Paquot : « Ils font des coups quand ils achètent une licence au Japon. Alors que là-bas il y a encore des magazines de prépublication. Cela permet de tester le marché ». Ces magazines publient à intervalle régulier les nouveaux chapitres de plusieurs séries, « exactement comme les feuilletons télé en France », le tout avant la sortie des œuvres reliées. Un dispositif qui n’existe pas en France malgré quelques tentatives comme « le magazine Kaméa de Glénat à l’époque, mais avec la crise des kiosques cela s’est éteint » poursuit Valentin Paquot avec un brin de regret.

Différents exemplaires du «Weekly Shônen Jump» exposés à Japan Expo 2008. - JPDN

Enfin, il est important de considérer que le manga est un pilier de la culture japonaise et qu’en France son explosion reste récente, et encore mal vue. « Le fond du problème est qu’on a encore ce mépris de classe pour le manga en France » affirme Valentin Paquot. Même s’il est plus optimiste, Timothée Guédon partage cette observation : « Cela a changé mais le combat est loin d’être terminé et il faut continuer à prêcher la bonne parole. Mais le fait que le festival de la BD à Angoulême se soit ouvert aux mangas est un bon signe ». Finalement, une nouvelle explosion de la bande dessinée japonaise passera par la fissure de « deux plafonds de verre » selon Valentin Paquot. Premièrement « que les gens qui ne lisent qu’un seul type de mangas en ouvrent d’autres car il y a du bon dans tous les styles » et secondement « que les personnes qui n’ont jamais lu de mangas prennent leur premier manga dans les mains ».

Source: 20 Minutes