BYD, l'autre étoile de la voiture électrique

July 17, 2023
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Par Frédéric Schaeffer, Pierre Demoux

Publié le 17 juil. 2023 à 7:25 Mis à jour le 17 juil. 2023 à 7:34

Elon Musk ne rigole plus. En novembre 2011, interrogé par Bloomberg TV sur les potentiels rivaux de Tesla, il s'esclaffait à l'évocation de BYD. « Vous avez vu leur voiture ? » Et d'enfoncer le clou en évoquant le premier modèle 100 % électrique, l'e6. « Leur produit n'est pas bon. Je ne pense pas que ce soit particulièrement séduisant, leur technologie n'est pas très puissante. » Douze ans plus tard, le célèbre milliardaire ne regarde plus BYD du même oeil goguenard : le groupe chinois est probablement en train de lui chiper sa couronne de champion du monde des véhicules électriques.

Même s'il est bien moins connu que Tesla, le constructeur de Shenzhen a écoulé l'an dernier 1,86 million de voitures électriques ou hybrides rechargeables, contre 1,3 million pour son concurrent américain. Et c'est désormais au tour de Wang Chuanfu de sourire. De manière prémonitoire, celui qui a baptisé son groupe de l'acronyme « Build Your Dreams » (« Construisez vos rêves ») réalise le sien.

Les débuts à Shenzhen

Car BYD, c'est d'abord l'histoire d'un chimiste visionnaire dans un pays déterminé à dominer la nouvelle révolution automobile. Wang Chuanfu n'a pas 30 ans quand il décide de quitter son laboratoire de l'Institut de recherche sur les métaux non ferreux de Pékin. Comme des milliers de jeunes Chinois au début des années 1990, il est pris par la fièvre de l'entrepreneuriat - et la soif d'enrichissement. Frustré par le manque de financement disponible pour la recherche publique, Wang Chuanfu, issu d'une famille paysanne et orphelin à 15 ans, emprunte 2,5 millions de yuans (300.000 euros) à un cousin, ouvre sa société dans la zone économique spéciale en plein boom de Shenzhen en 1995 et s'engouffre dans le secteur des batteries rechargeables pour l'électronique grand public.

Chaussé de ses grosses lunettes, il passe ses jours et ses nuits à étudier les brevets de Sony ou Sanyo et à décortiquer leurs batteries. Qu'importe si cet ingénieur spécialiste des terres rares n'a pas le capital nécessaire pour importer une ligne automatisée du Japon. Il remplace les robots par l'une des plus grandes ressources de la Chine : la main-d'oeuvre bon marché.

Un premier succès dans les téléphones portables

Alors que les ventes de téléphones mobiles et de PC portables s'envolent au début des années 2000, BYD impose rapidement ses batteries lithium-ion à prix défiant toute concurrence, au point de marginaliser les constructeurs japonais. Il fournit Nokia et Motorola, les deux plus grands fabricants de téléphones portables de l'époque, s'invite dans les ordinateurs de Dell, les outils Black & Decker et les nouveaux lecteurs MP3, ce qui lui permet de se hisser rapidement au deuxième rang mondial des batteries pour mobiles. Encore aujourd'hui, BYD se cache dans deux téléphones sur dix vendus à travers le monde. Mais Wang Chuanfu n'entend pas s'arrêter là. L'ambitieux PDG flaire que l'automobile est à l'aube d'une révolution technologique majeure.

Après s'être diversifié dans la production de pièces pour téléphones portables, il rachète en 2003 un petit constructeur en difficulté, Qinchuan Auto, pour s'initier à la fabrication de voitures. A l'heure où le monde cherche des alternatives au pétrole, Wang Chuanfu fait le pari que son expertise dans la production de batteries lui donnera un avantage imparable dans le domaine balbutiant des voitures électriques. Les investisseurs ne sont pas de cet avis et font dévisser de 20 % l'action BYD le jour de l'annonce.

Une première mondiale

La société s'accroche et réussit en deux ans à sortir une petite voiture à essence bas de gamme. Commercialisée au prix modeste de 60.000 yuans (7.600 euros), cette berline nommée « F3 », dotée de vitres électriques et d'une station d'accueil pour iPod, va arriver en tête des ventes en Chine, dépassant la célèbre Jetta de Volkswagen et la Corolla de Toyota. Wang Chuanfu ambitionne ensuite de parvenir à combiner les deux savoir-faire de son groupe.

C'est chose faite en 2008 : devançant les géants mondiaux, BYD produit en série le premier véhicule hybride (électrique et essence) au monde. La F3DM (pour Dual Mode) présente alors des performances remarquables avec une autonomie de 60 kilomètres en mode purement électrique, et qui peut s'étendre à 480 km grâce à un moteur à essence.

De l'autre côté du Pacifique, un autre entrepreneur fou, Elon Musk, fait le même pari de l'électrique et sort la Roadster, première voiture 100 % électrique de sa start-up. Avec son panneau solaire monté sur le toit pour faire fonctionner la radio ou la climatisation, la berline chinoise n'a vraiment pas l'allure sportive du Roadster, vendu 100.000 dollars pièce par Tesla. Mais elle est quatre fois moins chère. Et l'étoile montante de l'automobile chinoise reçoit un soutien de poids venu des Etats-Unis…

Adoubé par Warren Buffett

Fin septembre 2008, alors que Wall Street s'effondre dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers, Warren Buffett prend le monde par surprise en acquérant une participation de 10 % au capital de BYD pour 232 millions de dollars. « Ce qui a été accompli depuis 1995 chez BYD est extraordinaire », justifie le célèbre « oracle d'Omaha ».

Warren Buffett avait été intrigué par la description de Wang Chuanfu que lui avait faite son fidèle associé, Charlie Munger : « Ce type est un mélange de Thomas Edison et Jack Welch : Edison pour sa capacité à résoudre des problèmes techniques et Welch pour sa capacité à réaliser ce qu'il a décidé de faire. » Une dernière chose a convaincu le milliardaire : quand il propose à Wang Chuanfu d'acheter 25 % de BYD, ce dernier refuse. « C'était un homme qui ne voulait pas vendre son entreprise. C'était un bon signe », dira Warren Buffett.

Wang Chuanfu était un homme qui ne voulait pas vendre son entreprise. C'était un bon signe Warren Buffett

Des milliers de jeunes diplômés se précipitent alors de toute la Chine pour trouver un emploi chez BYD. A la Bourse de Hong Kong, le cours de l'action s'emballe. Wang Chuanfu devient l'homme le plus riche du pays en 2009. Décrit comme un génie, le bourreau de travail se sent pousser des ailes et annonce crânement devant la presse internationale qu'il fera de BYD le plus grand constructeur automobile au monde d'ici à 2025.

Rappel à l'ordre de Pékin

Mais la réussite insolente de cet entrepreneur privé irrite le pouvoir communiste, qui le rappelle à l'ordre. Ses projets d'extension d'usine dans le nord de la Chine sont soudainement retardés par une enquête administrative au plus haut niveau.

Wang Chuanfu apprend la leçon et se fait plus humble. D'autant que la voiture hybride est un flop commercial (il s'en vendra 48 l'année suivant sa sortie), que les ambitieux projets de véhicule du futur tardent à se concrétiser et que les fabricants de batteries japonais et sud-coréens défendent vaillamment leur avance technologique. BYD met alors les bouchées doubles, s'associe avec l'allemand Daimler, recrute à tour de bras des milliers d'ingénieurs sortis des meilleures universités du pays. « Nous sommes intelligents et nous travaillons dur », a coutume d'expliquer Wang Chuanfu. Il compte surtout un autre immense avantage : la taille du marché chinois et la rapidité à laquelle il adopte les véhicules électriques, sous l'impulsion de Pékin.

Grandes ambitions en Europe

Grâce à des milliards d'euros de subventions publiques et aux restrictions imposées dans les villes aux voitures à essence, la Chine devient le plus gros marché mondial de l'électrique, ce qui bénéficie en premier lieu aux constructeurs nationaux, BYD en tête. Ceux-ci règnent en maîtres à coups d'incitations ciblées sur les marques locales et de protectionnisme douanier. Ce vaste marché domestique permet à BYD de fabriquer des batteries à des coûts ultra-compétitifs, un secteur où il est toujours le troisième plus gros producteur de la planète. D'autant qu'il pousse très loin sa stratégie d'intégration verticale. En amont des batteries, le groupe possède ses propres mines afin de réduire sa vulnérabilité aux fluctuations des prix des matières premières. Cela lui permet d'avoir la main sur toute sa chaîne d'approvisionnement et de fabrication, et de revendre son expertise à d'autres partenaires.

A 57 ans, Wang Chuanfu a infléchi son discours, moins arrogant que par le passé, mais pas ses ambitions. Il s'est lancé en Europe en 2021. Les volumes restent faibles, mais progressent très vite, avec 5.700 immatriculations en 2022. Encore loin de son objectif de 800.000 ventes en 2030 sur le Vieux Continent. Pour y parvenir, il va lancer trois nouveaux modèles coup sur coup et pourrait y faire des ravages avec sa Seagull, une petite citadine présentée au dernier Salon de l'auto de Shanghai à un prix de seulement 10.000 euros. Quasiment deux fois plus bas que la Dacia Spring, la moins chère du marché européen aujourd'hui.

C'est pour nourrir cette ambition que BYD entend construire une usine en Europe, où la France fait partie des candidats à l'accueil. Mais il ne doit pas oublier de garder un oeil sur la Chine, où une guerre des prix fait rage entre constructeurs et où son grand rival, Tesla, suit la même stratégie que lui, en annonçant la construction d'une deuxième usine à Shanghai. Elon Musk prend désormais très au sérieux la menace BYD.

Source: Les Échos