Secte, pasteur autoproclamé, plus de 400 morts… Ce que l’on sait du massacre de Shakahola au Kenya

July 18, 2023
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C’est l’un des bilans humains les plus lourds dans l’histoire des sectes : douze nouveaux corps ont été exhumés dans la forêt kenyane lundi 17 juillet, portant le bilan des morts imputés à l’Église internationale de Bonne Nouvelle à 403, dont une majorité d’enfants. Selon les autorités, la plupart d’entre eux sont morts de faim. Les forces de l’ordre s’attendent à voir le bilan remis à jour s’alourdir encore. Que sait-on de cette secte, et de celui qui en fût le gourou ?

Paul Mackenzie, d’ancien chauffeur de taxi à gourou

Pour comprendre le massacre de Shakhola, il faut revenir sur la personnalité qui a mené ses fidèles à la mort. Paul Mackenzie Nthenge n’a pas toujours eu la stature du gourou. L’homme, né dans une famille de dix enfants, a été chauffeur de taxi pendant les années 90 à Malindi, ville touristique située sur la côte du pays. C’est là qu’il décide de fonder son culte, l’Église Internationale de Bonne Nouvelle (Good News International Church), après avoir reçu l’appel de Dieu , relate Le Monde . Il devient alors le pasteur autoproclamé de ce mouvement d’inspiration chrétienne évangéliste et se fait connaître par ses prêches radicaux.

Le mouvement prend de l’ampleur au fil des années. Sur son site, toujours en ligne, le culte explique avoir plusieurs branches dans différentes régions du Kenya (Nairobi, Watamu, Malindi, Kitale, Machakos, Naivasha, Mombasa, Mwea, Lunga Lunga, Matano manne) , outre son son siège de Malindi. Il revendique 3 000 fidèles et son influence s’étend également grâce à une chaîne, qui diffuse notamment ses prêches sur internet. Le terreau profondément croyant rend difficile le contrôle des innombrables Églises indépendantes évangéliques ou pentecôtistes qui se développent au Kenya depuis les années 2000 , notait au mois de mai notre correspondante à Nairobi Claudia Lacave.

Le pasteur autoproclamé Paul Nthenge Mackenzie apparaît dans le box des accusés du tribunal de Malindi le 2 mai 2023. | SIMON MAINA/AFP Voir en plein écran Le pasteur autoproclamé Paul Nthenge Mackenzie apparaît dans le box des accusés du tribunal de Malindi le 2 mai 2023. | SIMON MAINA/AFP

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Apocalypse et jeûne mortel

Parmi les idées défendues par l’Église internationale de Bonne Nouvelle, celle que l’éducation représente le mal , note la BBC , qui rappelle qu’en 2017, puis en 2018, il avait été arrêté pour avoir encouragé les enfants à ne pas aller à l’école, car il affirmait que l’éducation n’était pas reconnue dans la Bible . Selon Mackenzie, les médecins ne veulent pas du bien à ses fidèles, et le prêcheur incitait les femmes enceintes de sa communauté à ne pas en consulter pour accoucher.

Début 2021, des centaines de personnes quittent leurs maisons pour venir, avec leur famille, vivre dans la forêt de Shakahola, dans une région reculée du pays, sur un terrain occupé par l’Église. Quelques mois après le début de la pandémie de Covid, Paul Mackenzie se radicalise dans ses théories de l’apocalypse, assure que la fin du monde approche et que son sanctuaire sera épargné. L’endroit est décrit pas le New York Times comme un terrain vague brûlé par le soleil et parsemé de broussailles et de petits arbres .

Le prêcheur y incite les familles à jeûner jusqu’à mourir de faim pour se rapprocher du Christ. Un ancien associé de Mackenzie, Titus Katana, indique notamment au quotidien new-yorkais que ses nouvelles instructions comportent un plan méthodique au suicide collectif, qui commençait par les enfants.

Un charnier

Au mois de mars dernier, Mackenzie est arrêté et inculpé après la mort de deux enfants découverts sur son domaine. Mais il est libéré sous caution. Les autorités découvriront finalement le charnier deux mois plus tard, après des signalements. À mesure que les autorités fouillent, la forêt de Shakahola prend des airs de fosse commune. Dans un premier temps, une centaine de corps sont sortis de terre. Un nombre qui monte, semaine après semaine. Les autopsies réalisées sur certains corps montrent les mêmes conclusions : la plupart des victimes sont mortes de faim. D’autres, des enfants notamment, ont été étouffés, battus ou encore étranglés. Selon une déclaration sous serment de la police, certains avaient subi une ablation d’organes, indique le New York Times.

Des agents de sécurité transportent une jeune personne sauvée de la forêt à Shakahola, à l’extérieur de la ville côtière de Malindi, le 23 avril 2023. | YASUYOSHI CHIBA/AFP Voir en plein écran Des agents de sécurité transportent une jeune personne sauvée de la forêt à Shakahola, à l’extérieur de la ville côtière de Malindi, le 23 avril 2023. | YASUYOSHI CHIBA/AFP

Le 14 avril, Paul Mackenzie Nthenge se rend et est placé en détention, poursuivi notamment pour terrorisme . Il comparaît le 2 mai au tribunal de Malindi. Noé Hochet-Bodin, correspondant à Nairobi pour Le Monde, décrit alors un homme discret, qui a gardé son look de chauffeur de taxi, et pourtant charismatique, capable de plaisanter avec les journalistes venus couvrir son procès.

Outre Mackenzie, seize personnes sont accusées d’avoir fait partie d’un groupe d’ hommes de main du pasteur chargé de veiller à ce qu’aucun adepte ne rompe le jeûne ou ne s’échappe de la forêt, située près de la ville côtière de Malindi.

La justice a également engagé le mois dernier des poursuites pour tentative de suicide contre 65 adeptes qui refusaient de s’alimenter après avoir été sortis de la forêt. Des poursuites condamnées par certaines ONG.

Scandale d’État

Une telle faillite met le pays en émoi et en colère. Car le pasteur avait déjà été arrêté à plusieurs reprises. En 2017, pour quatre chefs d’accusation liée à la radicalisation de sa paroisse. En 2019, il est à nouveau arrêté, alors que ses prêches se radicalisent. À chaque fois, il sera libéré.

Source: Ouest-France