River Plate, club phare du football argentin, rattrapé par le devoir de mémoire
L’École de mécanique de la marine, ancien centre de torture de l’ESMA, à Buenos Aires, le 26 avril 2022. SARAH PABST POUR « LE MONDE »
Le légendaire club de football argentin River Plate a annoncé l’accord « historique » dans une vidéo : « Nos projets continuent de grandir, imparables. » Des images montrent, à un kilomètre du fameux stade Monumental, à Buenos Aires, un terrain de sept hectares où seront construits six terrains de foot, un de hockey, une salle des fêtes… Problème : le site en question était le terrain de sport de l’Ecole de mécanique de la marine, l’ESMA, centre clandestin de détention et de torture pendant la dictature (1976-1983) où ont disparu environ 5 000 opposants. L’endroit aurait servi à enterrer ou brûler des corps.
La décision de River Plate d’utiliser un terrain chargé d’une histoire aussi douloureuse, qui lui a été cédé par l’Etat, a fait bondir les associations de survivants et de proches de victimes de la junte qui disent ne pas avoir été consultées. « Elle met en danger la connaissance sur la vérité et la mémoire », dénonce Carlos Loza, l’un des rares survivants de l’ESMA et membre de l’Association d’ex-détenus disparus.
Deux recours demandant l’annulation de la décision ont été présentés à la justice par des organisations de défense des droits humains. « Il ne peut pas y avoir d’activités récréatives dans un endroit qui a fait partie d’un système grâce auquel les crimes les plus atroces ont été commis », dénoncent-elles. Le premier recours a d’ores et déjà été rejeté.
Futures fouilles « systématiques et exhaustives »
Si la plupart des détenus à l’ESMA ont été tués lors des « vols de la mort », jetés dans l’océan depuis un hélicoptère ou un avion, de nombreux témoignages suggèrent que certains, notamment ceux ayant succombé aux tortures, ont été enterrés ou incinérés sur le terrain de sport. « J’ai eu connaissance que depuis l’ESMA, on transportait des corps de détenus décédés vers le terrain de sport (…), a, par exemple, témoigné le caporal Jorge Carlos Torres, en 1984. Une fois, j’ai entendu le sous-officier de garde dire qu’ils revenaient de faire un “barbecue”, comme on appelait l’incinération de cadavres. La nuit, on pouvait voir les feux qui brûlaient les corps. »
Depuis 2004, le site, qui dépend toujours de la marine, ne pouvait faire l’objet d’aucune modification. Une mesure prise à la suite d’une demande de l’artiste Leon Ferrari, qui soupçonnait que son fils Ariel, enlevé en 1977, y avait été enterré. Il est possible que tel ait été aussi le destin de l’écrivain et journaliste Rodolfo Walsh, tué le 25 mars 1977 dans la rue mais dont le corps n’a jamais été retrouvé.
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Source: Le Monde