Train trop cher : "La France est l’un des pires élèves d’Europe", selon Greenpeace
ENTRETIEN - En Europe, le train coûte en moyenne deux fois plus cher que l’avion. Et ce, malgré les multiples incitations à faire le choix du ferroviaire.
C’est une question que l’on s’est tous posé au moment de planifier ses vacances d’été. Entre l’avion et le train, quel mode de transport choisir ? Souvent, l’équation penche très vite en faveur du premier. Question de budget. Bien que plus écologique, le train reste bien plus cher que l’avion, notamment sur les trajets internationaux. Et le dernier rapport dévoilé ce jeudi par Greenpeace vient à nouveau confirmer cet état de fait. «Voyager en train est en moyenne deux fois plus cher qu'en avion en Europe, malgré le fait que l'impact climatique global de l'avion peut être plus de 80 fois plus important que celui du train», peut-on y lire.
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Dans ce document, l’ONG réalise une analyse comparative du prix des billets d’avion et de train en Europe et dénonce une fiscalité avantageuse pour le secteur aérien. Pour dresser ce constat, ils ont comparé les tarifs aériens et ferroviaires sur 9 jours pour 112 liaisons européennes différentes, dont 20 depuis la France. Le Royaume-Uni, l’Espagne et la France occupent le trio de tête des pays où la différence entre le prix des billets de train et d’avion est la plus importante d’Europe, malgré les incitations répétées à prendre le train. Une situation que l’on a décryptée avec Alexis Chailloux, chargé du voyage durable chez Greenpeace France.
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LE FIGARO. - Quel est l’objectif de ce rapport ?
Alexis CHAILLOUX. - Il y a un sujet systémique et fiscal. On entend beaucoup parler de voyage bas carbone : on incite à voyager en train plutôt qu’en avion pour des raisons climatiques. C’est paradoxal parce que le système réglementaire et fiscal favorise largement le secteur aérien, au détriment du transport ferroviaire. Comment peut-on demander aux citoyens de voyager en train quand celui-ci coûte deux fois plus cher que l’avion en Europe ? La France est parmi les pires élèves au niveau européen, à la 3e place derrière le Royaume-Uni et l’Espagne. On arrive à une moyenne de 2,6 fois plus sur les 20 liaisons que l’on a étudiées dans le pays. Et même au sein de ces liaisons, on observe des différences notables. Pour une connexion entre Marseille et Londres, par exemple, le train coûte en moyenne sept fois plus cher que l’avion. Avec la publication de ce rapport, on appelle les gouvernements nationaux, notamment la France, et les institutions européennes à agir.
Alexis Chailloux, chargé de voyage durable chez Greenpeace France. Joseph Melin / Greenpeace
Le fait que le train coûte cher n’est-il pas aussi lié à un problème de maillage du réseau ferroviaire ?
Depuis Marseille, la liaison avec Rome est par exemple inexistante. Il faut passer par Lyon et Turin. On pourrait pourtant envisager un train de jour ou de nuit entre Marseille et Rome, parce que ce n’est pas si loin. Il faut des investissements, à la fois dans les infrastructures ferroviaires et aussi dans l’ouverture ou la réouverture de lignes internationales. Pour y arriver, Greenpeace propose la solution des trains de nuit. C’est assez efficace : ça ne nécessite pas de construire de nouvelles lignes et c’est déployable rapidement. Surtout, ces liaisons permettent de faire de grandes distances en assez peu de temps, puisqu’on part le soir et qu’on arrive le matin. Aussi, nous trouvons choquant que certaines lignes fermées pendant la crise du Covid n’aient pas rouvert, comme Hendaye-Lisbonne et Paris-Venise. Et que certaines grandes villes européennes proches ne soient pas reliées par le train : c'est le cas pour Toulouse et Barcelone par exemple, où il n’y a pas de liaison directe.
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Combien faudrait-il investir dans le ferroviaire ?
Dans le rapport, nous avons pris le problème à l’envers. On a regardé combien nous coûtaient les cadeaux fiscaux faits au secteur aérien. Un rapport de Transport & Environnement a calculé le manque à gagner de ces avantages. En France, il représente 4,7 milliards d'euros en 2022, une année encore anormalement basse pour le trafic aérien. Mais, dès la reprise complète du trafic, ce chiffre grimpera à 6,1 milliards d'euros. À l'échelle européenne, le manque à gagner est de 34 milliards d'euros. Tout ça, c'est autant d'argent qui pourrait être investi dans le ferroviaire. L'injustice en faveur de l'aérien a plusieurs visages. Déjà, il y a l’exemption de taxe sur le kérosène (le carburant pour faire voler les avions, NDLR), puis la TVA à 0% sur les billets internationaux et réduite sur les vols nationaux, là où une TVA de 10% s’applique pour le ferroviaire. Sans compter les failles du marché carbone sur le marché européen.
Outre ce travail sur les exemptions fiscales dans l’aérien, y a-t-il d’autres solutions pour favoriser le secteur ferroviaire ?
L’idée d’un ticket climat est très intéressante. Le principe : on a un forfait de train à un prix abordable, qui permet d’emprunter tout ou une partie du réseau ferroviaire d’un pays. En Allemagne, pour 49 euros par mois, on peut voyager sur toutes lignes, hors grande vitesse. Il faut arrêter de subventionner un transport polluant et, dans le même temps, donner la possibilité à tout le monde de prendre le train à un tarif accessible. Favoriser les trains de nuit est également une solution, car on économise une nuit d’hôtel et il y a un seul opérateur pour le trajet. Il faut aussi mettre sur pied un système harmonisé entre les opérateurs ferroviaires des différents pays : les prix des billets de train doivent être les mêmes partout. Aujourd’hui, on trouve parfois des tarifs moins chers sur le site de la Deutsche Bahn que celui de la SNCF pour un Paris-Berlin. Enfin, il faut mettre fin aux spots publicitaires vantant les billets d'avion à prix cassés des low-cost. Car ces prix cassés sont également la résultante de pratiques sociales et fiscales problématiques.
Quels sont encore les freins au développement du ferroviaire en Europe ?
Avec ce rapport, on met sur la table le fait d’avoir besoin de connexions ferroviaires abordables, fiables et fréquentes entre les capitales européennes. Cela nous a aussi permis de voir les principaux trous dans la raquette. On a notamment identifié plusieurs zones enclavées, comme le Portugal. Ce qui est assez incompréhensible, car Paris-Lisbonne est l’une des liaisons les plus empruntées en avion. Les pays Baltes et la Roumanie sont aussi enclavés. Les Balkans, pour d’autres raisons, sont également difficiles d’accès, selon les zones. Il y a assez peu de lignes existantes au niveau international.
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Si on remet en cause ces avantages fiscaux sur l’aérien, et que dans le même temps, les investissements sur le ferroviaire ne sont pas effectifs rapidement, cela ne risque-t-il pas de créer des situations de déséquilibre ? Où des personnes ne pourraient plus du tout voyager en raison des prix de l’avion et du train ?
D'une part, les billets d'avion sont anormalement peu chers. Quand on a un billet à 25 euros, c’est une pratique commerciale qu'il nous semble légitime d'arrêter. Car cela couvre à peine les coûts d’exploitation et c’est une pratique polluante. D'autre part, on peut imaginer des solutions de très court terme, comme des billets offerts à toutes les personnes d'une même tranche d'âge, comme l’ont fait les gouvernements français et allemands avec le passe France-Allemagne, même s’il y avait très peu de billets mis à disposition. Ça représenterait un coût sans commune mesure avec le manque à gagner sur les avantages de l'aérien. Enfin, on peut imaginer des tarifications sociales sur les trains longue distance, avec des tarifs réduits pour les personnes aux revenus les plus modestes.
Existe-t-il déjà des modèles vertueux en Europe concernant le ferroviaire ?
Il y a quelques exemples emblématiques, comme le ticket climat en Allemagne et en Autriche. En France, on a de bonnes initiatives, comme la région Occitanie qui propose des billets à 1 euro tous les premiers week-ends du mois, ou encore la récente offre Intercités à 19 euros. Cela permet de toucher des publics qui voyagent peu, que ce soit en avion ou en train, ou des personnes fortement dépendantes de la voiture. En Italie, le Trenitalia Pass permet de réaliser trois voyages ou plus avec un seul billet. C’est très intéressant pour la visite ponctuelle d’un pays.
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Que pensez-vous du grand plan ferroviaire à 100 milliards d’euros , récemment dévoilé par le gouvernement ?
Nous sommes satisfaits qu’il y ait une ambition affichée. Le réseau ferroviaire français s’est dégradé progressivement, faute d’investissement dans l’entretien du réseau. C’est plutôt une bonne nouvelle, même si nous restons prudents, tant qu’il n’y a pas de mesures concrètes annoncées. Pour nous, il faut, par exemple, absolument développer les lignes de trains de nuit, notamment sur les lignes transversales.
Source: Le Figaro