L’Afrique du Sud se fâche contre la taxe carbone européenne
Un convoi de charbon à Bronkhorstspruit, en Afrique du Sud, en avril 2022. SIPHIWE SIBEKO / REUTERS
L’Afrique du Sud met une nouvelle fois en garde l’Union européenne (UE) contre les conséquences de la taxe carbone aux frontières décidée par les Vingt-Sept pour lutter contre le dumping écologique en pénalisant les pays qui n’ont pas une politique climatique aussi ambitieuse qu’elle. « Ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières transfère le coût du changement climatique sur les économies en développement et fait porter un fardeau injuste sur nos pays et nos industries », se plaint le ministère sud-africain du commerce, de l’industrie et de la concurrence dans un courrier adressé à la Commission européenne et cité par l’agence Bloomberg.
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L’UE a décidé d’introduire de manière progressive, à partir d’octobre, une taxe sur les importations en provenance des secteurs jugés les plus polluants, comme le ciment, le fer et l’acier, l’aluminium, les engrais ou encore l’électricité. Les importateurs devront déclarer le contenu en « carbone » de leurs marchandises et acheter des « certificats » pour s’aligner sur les règles qui s’appliquent aux entreprises qui produisent en Europe, afin de les inciter à réduire leurs émissions de CO 2 . Les premiers paiements n’interviendront cependant qu’en 2026 et de manière graduelle, puisque en 2030 les importateurs s’acquitteront seulement de 30 % de la taxe théorique.
L’Afrique du Sud, dont environ la moitié des exportations dépendent du secteur minier et du charbon, juge le dispositif trop discriminatoire. Elle évalue le coût potentiel à 1,5 milliard de dollars par an (soit 1,3 milliard d’euros). « Notre forte dépendance aux exportations de matières premières qui sont ensuite valorisées dans des pays tiers est un héritage historique qui nous a été imposé », écrit le ministère du commerce en référence au passé colonial du pays : « Plutôt que de nous encourager à adopter des politiques climatiques plus ambitieuses, [cette décision européenne] risque de compromettre notre capacité à atteindre nos objectifs climatiques. Elle va accroître la pauvreté et le chômage. »
Le gouvernement de Cyril Ramaphosa a été le premier parmi les pays en développement à conclure, en novembre 2022, un Partenariat pour une transition énergétique juste avec la France, l’Allemagne, le Royaume Uni, l’UE et les Etats-Unis, assorti d’une enveloppe de 8,5 milliards de dollars de dons et de prêts concessionnels. Cet accord n’a cependant pas éteint le débat sur la responsabilité historique des pays industrialisés. Pretoria attend davantage de solidarité internationale pour l’aider à décarboner son économie sans pénaliser le développement.
Fer au Zimbabwe, aluminium au Mozambique
L’Afrique du Sud est le premier pays émetteur de gaz à effet de serre du continent, le treizième au niveau mondial. « Une des façons pour l’UE de désamorcer ce potentiel conflit serait de démontrer sa capacité à financer les politiques climatiques des pays en développement », suggère Nicolas Berghmans, expert Europe à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), rappelant que la proposition d’utiliser à cette fin les revenus du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a jusqu’à présent été écartée par les Vingt-Sept.
En Afrique, huit autres pays (Maroc, Tunisie, Egypte, Sénégal, Ghana, Cameroun, Zimbabwe, Mozambique) seraient les plus pénalisés par la nouvelle taxe carbone, selon une étude de la Banque mondiale. Au Zimbabwe, par exemple, 87 % des exportations de fer et d’acier sont destinées à l’UE. Au Mozambique, 74 % des exportations d’aluminium seraient touchées. La Fondation africaine pour le climat et la London School of Economics pointent également, dans une évaluation commune publiée en juin, des retombées plus importantes sur les économies africaines que « sur toutes les autres régions ». « Ceci est dû au fait que l’UE est un débouché particulièrement important pour le continent, représentant 26 % des exportations d’engrais, 16 % de fer et d’acier, 12 % d’aluminium, 12 % de ciment », décrivent les experts.
L’Afrique, qui demande que sa situation particulière – retard de développement et contribution marginale au dérèglement climatique – soit prise en compte, n’a jusqu’à présent pas été entendue par les Européens. Mais la discussion n’est pas close. Les critiques formulées par le gouvernement sud-africain, largement partagées par ses homologues du continent, devraient trouver une nouvelle tribune lors du Sommet africain sur le climat, du 4 au 6 septembre à Nairobi, où il sera avant tout question pour le continent de faire valoir son droit à une justice climatique.
Source: Le Monde