Que penser de l’allocution de d’Emmanuel Macron ? On a posé la question à la politologue Chloé Morin
Quelques heures après avoir mis fin au suspense du remaniement, le président s’est exprimé ce vendredi 21 juillet 2023 devant le nouveau gouvernement, réuni avec huit nouvelles têtes en Conseil des ministres. L’occasion pour le président de la République de fixer le cap à ses ministres. Tonalité, enjeux... La politologue et essayiste Chloé Morin décrypte la prise de parole du chef de l’État. Dans son nouvel essai publié en février 2023 On aura tout essayé… elle a interrogé une trentaine de personnalités et conduit plusieurs sondages d’opinion sur la façon dont les Français perçoivent la situation politique du pays.
Objectifs fixés aux ministres, cap expliqué aux Français ? Comment lire les propos d’Emmanuel Macron ?
La tonalité est solennelle, l’exercice est classique, mais le format inédit. Il est rare en effet que l’introduction d’un conseil des ministres soit ainsi mise en scène. Le président tire le bilan de l’année écoulée et en particulier des cent derniers jours. Il cherche à donner de la visibilité à l’action du gouvernement ce qui n’est jamais inutile à partir du moment où subsiste un flou autour des raisons pour lesquelles il a été réélu. Les Français peinent à percevoir le cap de ce second quinquennat.
Quarante-neuf lois ont été votées dans l’année, davantage qu’en six ans a-t-il précisé. Une manière de répondre aux critiques ?
Factuellement, des lois sont votées. Malgré l’absence de majorité claire à l’Assemblée, le pays n’est pas à l’arrêt depuis un an. Sans doute que le procès en immobilisme, cette petite musique qu’on entend beaucoup, a l’art de l’agacer. Au fond, l’ADN du macronisme, en 2017, consistant à faire bouger les lignes et réformer, demeure. Le président veut montrer qu’il reste dans une logique de transformation du pays.
Être ministre, ce n’est pas parler dans le poste, comme il l’a déclaré dans son allocution ?
Mais ceux qui ne l’ont pas fait assez ont été dégagés. À la fois parce qu’ils ont failli dans l’incarnation et qu’ils n’ont pas donné satisfaction sur le fond. Il met le doigt sur une faille importante de trop de ministres attachant plus d’importance aux annonces, au vote des lois, qu’à leur exécution. Or 80 % du succès dune politique publique consiste à vérifier qu’une loi est correctement exécutée. La difficulté, c’est d’arriver à faire bouger les administrations, à publier des textes d’application et à aller vérifier qu’ils sont appliqués sur le terrain.
C’est pourquoi il appelle les ministres à diriger leur administration ?
Le décalage entre la parole et les actes concrets est l’un des principaux facteurs alimentant la défiance envers les politiques. Une bonne loi est une loi discutée. Cela demande du temps. Ce qui peut susciter l’incompréhension des Français. Le texte passe ensuite entre les mains du ministre. Or les parlementaires qui votent une loi n’ont aucun moyen d’obliger l’administration à l’appliquer.
Le président Emmanuel Macron s’exprime devant le nouveau gouvernement réuni en conseil de ministres à l’Élysée. | CHRISTOPHE ENA/AFP Voir en plein écran Le président Emmanuel Macron s’exprime devant le nouveau gouvernement réuni en conseil de ministres à l’Élysée. | CHRISTOPHE ENA/AFP
On se rend compte aussi que des textes qui tombent en rafale sur la tête des maires s’avèrent parfois mal adaptés aux réalités du terrain. Résultat : ils ne sont pas appliqués ou créent des effets pervers qui n’ont pas été anticipés. Cela montre le besoin d’évaluer, d’identifier les dispositifs défaillants pour les transformer. Ce travail d’évaluation, habituel dans d’autres pays, reste faible en France.
Le remède, est-ce de construire avec les députés, les maires et les citoyens, comme il le demande ?
Il mesure que le pays ne peut être gouverné que si l’on tient compte de l’avis des citoyens et des remontées de terrain. Par le passé, l’action gouvernementale a souvent été critiquée, accusée d’être déconnectée, de tomber d’en haut, sans égard à ce que peuvent penser, vivre les Français et les élus. N’ayant pas renoncé à faire voter la loi immigration en particulier, il envoie également des signaux à la droite et aux Républicains qui comptent plusieurs poids lourds au gouvernement. C’est ce que traduit ce remaniement, qui est un repli sur les forces vives traditionnelles de la majorité présidentielle.
Quelle lecture faire du cap fixé pour répondre aux émeutes ?
J’observe que les Français ne les ont pas vécues comme celles de 2005. Ils ne souscrivent majoritairement pas au diagnostic de la France insoumise consistant à y voir une sorte de révolution de citoyens épris de justice. Ils voient des casseurs, une logique de négation de l’autorité de l’État, nihiliste et consumériste. Souvenons-nous des critiques formulées à l’issue du mouvement des gilets jaunes consistant à dire que le président avait cédé à la violence et récompensé les débordements en signant des chèques. Il cherche à éviter cet écueil en noyant la réponse aux émeutes dans le reste de sa politique : éducation, santé, la sécurité…
Source: Ouest-France