Guerre au Soudan : "Tout le monde cherche sa mère, son frère ou son fils"
interview
La guerre fratricide au Soudan, opposant l’armée régulière à un groupe paramilitaire, est entrée dans son quatrième mois, mi-juillet, alors que plusieurs millions de personnes ont fui le pays. Cette semaine, l'ONU a conduit une mission au Tchad voisin, appelant à la solidarité internationale en cette période d’extrême urgence.
Des soudanais ayant fui la guerre dans la région du Darfour dans un campement de fortune à Adré, au Tchad, le 19 juillet 2023.
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Trois mois de guerre et aucune issue en vue au Soudan. Le conflit meurtrier entre l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo perdure dans la capitale Khartoum et dans la région du Darfour, dans l’ouest du pays, malgré les tentatives de médiations internationales qui n’ont jusqu’ici pas portées leurs fruits.
Des bombardements et tirs d’artillerie ont à nouveau été signalés les 19 et 20 juillet dans la capitale, faisant de nouvelles victimes. Selon l’ONU, plus de 3 000 personnes sont mortes depuis le début des hostilités, le 15 avril, alors que trois millions ont fui les violences dont 730 000 hors du pays.
Face à la gravité de la situation, l’ONU a dépêché, cette semaine, une délégation au Tchad, pays frontalier du Darfour où 260 000 soudanais ont trouvé refuge. Alors que les voisins du Soudan alertent sur les risques de contagion régionale de cette crise, la secrétaire générale adjointe des Nations unies, Amina Mohammed, a appelé la communauté internationale à accentuer ses efforts, dénonçant un "désastre" humanitaire.
In Chad, together with @WFPChief and @UN delegation, to appeal for global solidarity at a time of extreme need.
The people of Chad haven't turned away from their neighbours.
Now is the hour for the international community to stand up for refugees and the host community. pic.twitter.com/ZtE3Fu6JXk — Amina J Mohammed (@AminaJMohammed) July 19, 2023
Pour faire le point sur la situation, France 24 s’est entretenu avec Frédéric Joli, porte-parole en France du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), mobilisé sur le terrain pour porter secours aux civils fuyant le conflit.
France 24 : La frontière tchadienne est la principale porte de sortie pour les Soudanais fuyant le Darfour, comment évolue la situation sur place ?
Frédéric Joli : L’afflux massif continue avec beaucoup de blessés, de femmes et d’enfants. Nos équipes tentent de soutenir les autorités tchadiennes et d’apporter une réponse médicale. Le CICR a déployé une antenne chirurgicale dans la ville d’Abéché, dans l’est du Tchad, où nous acheminons les personnes les plus gravement blessés dont les conditions nécessitent des besoins chirurgicaux. Nous sommes également présents à l’intérieur du Darfour, à Khartoum ainsi que dans des zones stratégiques comme Wad Madani et Port-Soudan.
L'instant est très grave et il existe un risque bien réel de contagion régionale car les moyens humanitaires ne suffisent pas face aux besoins qui continuent de croître. À la frontière tchadienne, les Soudanais qui arrivent en nombre s’installent là où ils peuvent. Cette situation accentue la pression économique sur le pays, favorise le risque de tensions sociales ainsi que le développement de maladies dues au manque d’hygiène.
Plusieurs trêves humanitaires ont été annoncées au cours des trois derniers mois, mais celles-ci n’ont jamais vraiment été appliquées. Comment pouvez-vous opérer dans ces conditions ?
L’accès aux victimes reste très compliqué au Darfour et à Khartoum, et rien ne montre que la situation ne s’améliore. Les belligérants tirent à l’arme lourde dans des zones densément peuplées, ils ne respectent pas leur obligation qui est de faire la distinction entre les combattants et les civils. Notre mission est d’évacuer les blessés et de protéger les combattants blessés qui, s’ils ne sont plus en mesure de combattre, doivent bénéficier de la même protection.
Dans ce contexte, nous sommes obligés de négocier au cas par cas, faire comprendre aux deux parties le besoin d’accéder à une rue, à un quartier, pour mener une opération d’évacuation, qui ne devient possible que si nous obtenons le feu vert des deux parties. C’est difficile car nous ne pouvons prendre le risque d’agir sans garanties de sécurité. Ces négociations nécessitent d’établir des relations de confiance avec les acteurs du conflit pour qui la question humanitaire n’est pas la priorité. Mais parfois ça marche. C’est comme ça que nous avons réussi à évacuer un orphelinat de 300 enfants début juin à Khartoum.
Un autre enjeu est d’aider les Soudanais à retrouver leurs proches. Avec plusieurs millions de déplacés internes, tout le monde au Soudan cherche sa mère, son frère ou son fils, ce qui génère un stress énorme sur la population. Nous enregistrons les personnes qui se signalent comme cherchant des proches. Nous activons nos réseaux pour les aider à reprendre contact. Cela passe par l’accès gratuit au téléphone voire même par l’octroi de titres de voyages aux personnes qui n’ont plus de papiers pour rejoindre leurs familles. Malheureusement, cette seconde option n’est pas envisageable actuellement du fait de l’intensité des combats.
Quels sont les besoins les plus urgents sur lesquels se concentre aujourd’hui le travail humanitaire ?
Les besoins humanitaires sont colossaux. Dans les zones de combat, 80 hôpitaux ne fonctionnent plus car endommagés ou bien tout simplement car le personnel n’ose plus s’y rendre. Les pénuries se multiplient notamment en ce qui concerne l’eau potable et l’électricité. Pour le CICR, la priorité est de soutenir les services de santé encore fonctionnels et de rétablir l’accès à l’eau, notamment pour éviter le démarrage d’épidémies.
Ce conflit qui touche plusieurs villes a produit un bilan très lourd très vite, ce qui a surpris les acteurs humanitaires. Nous nous sommes retrouvés rapidement en incapacité d’absorber les besoins. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas de visibilité car il ne semble pas y avoir de perspective d'issue au conflit. À cela s’ajoute le manque de financement humanitaire pour le Soudan. Il faut bien le reconnaître, tous les voyants sont au rouge.
Certes, nous assistons à une multiplication des crises, mais il faut trouver le moyen de gérer à la fois l’Ukraine, la République démocratique du Congo et le Soudan. La solution au conflit doit être politique, les humanitaires ne vont pas régler tous les problèmes, mais en attendant ils font ce qu’ils peuvent. Face à l’urgence, nous n’avons d’autre option que d’inscrire nos opérations dans la durée et cela nécessite une mobilisation plus importante, en particulier de la part des États.
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Source: FRANCE 24