Biélorussie : la présence des miliciens de Wagner, une "menace" réelle mais limitée pour la Pologne

July 26, 2023
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Exilés en Biélorussie depuis leur mutinerie, les mercenaires «demandent à aller» vers Varsovie, a indiqué le président biélorusse Loukachenko. Inquiète, la Pologne augmente le volume de ses troupes à la frontière.

La déclaration a fait sourire Vladimir Poutine... beaucoup moins les Polonais. Lors d’un entretien avec le président russe, dimanche 24 juillet, le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko a indiqué que les miliciens de Wagner, réfugiés dans son pays depuis la mutinerie de leur chef Prigojine, «demandent à aller vers l’Ouest (...) à Varsovie, Rzeszów». Une menace à peine voilée d’invasion de la Pologne, qui s’ajoute à une multitude de signaux d’alerte pour ce pays frontalier de la Biélorussie.

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Jeudi 20 juillet dernier, Minsk a en effet annoncé que les combattants de Wagner s’entraînaient avec les forces spéciales biélorusses dans le camp de Bretsky, à moins de cinq kilomètres de la frontière polonaise. Dès l’annonce de l’exil du groupe paramilitaire en Biélorussie, la Pologne a senti la menace. Le président Andrzej Duda avait caractérisé leur présence comme une «menace potentielle pour la Pologne» et avait décidé de transférer plus d’un millier de soldats et des dizaines de blindés de l’Ouest vers la frontière biélorusse.

Une invasion inenvisageable

Varsovie a évidemment raison de se méfier de la présence de Wagner à quelques encablures de sa frontière. Le groupe paramilitaire a déjà fait la démonstration de ses talents de déstabilisation en Afrique, et a engrangé une expérience du combat en Ukraine. Mais la probabilité d’une attaque d’ampleur de la Pologne par les miliciens associés à l’armée biélorusse paraît, pour l’heure, parfaitement extravagante. Tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Outre la faiblesse structurelle de l’armée de Minsk, Wagner ne compte que 3500 miliciens sur le sol biélorusse, selon les dernières informations dont on dispose.

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En outre, de récentes images satellitaires, fournies par Maxar et Planet, du camp de base des mercenaires, situé à Tsel dans le centre du pays, démontrent que «Wagner ne dispose pas des armes lourdes nécessaires pour monter une offensive sérieuse (...) sans réarmement significatif», souligne l’Institute for the Study of War dans son bulletin du 23 juillet. Selon le centre de réflexion, la milice ne compte que des centaines de voitures et camionnettes et environ 25 semi-remorques. Tous ses véhicules blindés ont dû être cédés au ministère russe de la Défense après la mutinerie.

Les images satellites du camp de Wagner à Tsel. PLANET LABS PBC / REUTERS

En face, la Pologne est un pays de l’Otan protégé par l’article 5, possède l’une des plus grandes armées d’Europe et héberge une base militaire américaine. «Les gesticulations de Loukachenko sont toujours à prendre avec une certaine réserve, tempère d’ailleurs Jacques Rupnik, spécialiste des pays d’Europe centrale et de l’Est, directeur de recherche émérite à Sciences Po. Il tente à la fois, par des propos bellicistes, de montrer que lui et Wagner peuvent cohabiter et de se caler dans une sorte d’escalade verbale qui plaît à Poutine».

Des tentatives de déstabilisation possibles

En revanche, il n’est pas insensé d’imaginer que Wagner pourrait agir plus subtilement pour déstabiliser le Pologne et les pays frontaliers de la Biélorussie. Leur présence même dans ce pays induit une forme de pression, à la fois sur le nord de l’Ukraine et sur la Pologne. Volodymyr Zelensky, comme Varsovie, a d’ailleurs été obligé de déplacer certaines troupes proches de la frontière biélorusse, alors qu’elles auraient pu être utiles lors de la contre-offensive en cours. «À force de mettre la pression, tout le monde mobilise ses forces, cela crée un dilemme de sécurité et tout le monde alimente la machine», souligne Céline Bayou, chargé de cours à l’Inalco et chercheur associé au Centre de recherche Europe-Eurasie.

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Cette pression en elle-même suffit à constituer une menace bien réelle. En Biélorussie, «Wagner fait régner une sorte de doute permanent», ajoute la spécialiste. La proximité du très stratégique corridor de Suwalki, cette bande de terre souvent considérée comme le point faible de l’Otan, qui relie l’enclave russe de Kaliningrad à la Biélorussie le long la frontière de la Pologne et de la Lituanie, participe à ce climat délétère. Le rôle encore flou de Wagner sur place y contribue également.

Si aucune confrontation directe n’est envisageable pour le moment, le groupe de mercenaires pourrait mener des opérations de déstabilisation. «Parce qu’ils savent le faire, on le voit en Afrique, et s’affranchissent des règles. C’est dans l’ADN des sociétés militaires privées, rappelle Céline Bayou. Ils peuvent participer à l’organisation de diverses provocations avec l’idée de déclencher un incident ou une surréaction.» En 2021, la Biélorussie avait déjà tenté de déstabiliser la Pologne et l’Union européenne en utilisant l’arme migratoire. L’Occident accusait alors Minsk, qui s’en est toujours défendu, de créer artificiellement une crise en faisant venir des candidats à l'immigration, les amenant à la frontière en leur promettant un passage facile vers l'UE. Dans ce genre d’opérations indirectes, Wagner a déjà démontré son efficacité.

Une réaction polonaise calibrée

Dans ce contexte particulier, «il est logique de déplacer des troupes», souligne Jacques Rupnik. Surtout pour la Pologne. Avec la guerre en Ukraine, le pays «se sent plus vulnérable, plus proche du conflit, il réagit donc au quart de tour à chaque développement». D’autant que la Pologne va entrer sous peu dans une période électorale, puisque des élections parlementaires qui s’annoncent serrées se tiendront à l’automne. Il est donc essentiel, pour le président Duda, de «faire l’union sacrée face à la menace».

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«La Pologne a tout intérêt à dénoncer avec force la menace à ses frontières, pour qu’elle soit prise au sérieux par ses alliés», abonde Céline Bayou. Et le pays ne lésine pas sur les moyens. Outre les très nombreux contrats militaires signés depuis le début de la guerre en Ukraine, le ministre de la Défense Mariusz Blaszczak a indiqué le 23 juillet dernier qu’un bataillon serait bientôt formé à Augustow, ville polonaise située à quelques kilomètres de la frontière biélorusse, et que d’autres suivraient. «Nous nous soucions de la sécurité du flanc Est !», a-t-il déclaré.

En réponse à ces initiatives, la Russie joue sa partition habituelle. Après le renfort des troupes polonaises à la frontière biélorusse, le Kremlin a immédiatement dénoncé «l’agressivité à l’égard de la Biélorussie et de la Russie». En visite à Saint-Pétersbourg, Alexandre Loukachenko a même accusé le pays d’Europe centrale de vouloir «transférer des territoires» de l’ouest de l’Ukraine vers la Pologne. Une inversion totale de la réalité, chère au narratif russe.

Source: Le Figaro