Festival d'Avignon: Carte noire nommée désir, cette pièce qui fait polémique
Dans cette pièce, qui dénonce «les fantasmes» entourant «la femme noire», une scène avec des poupées blanches empalées sur un pieu ne laisse pas indifférent. Le festival, de son côté, dénonce des «agressions racistes» contre les comédiennes.
Le spectacle est donné au gymnase du lycée Aubanel, dans le cadre du in du Festival d’Avignon et il ne laisse pas indifférent. Carte noire nommée désir, écrit et mis en scène par Rébecca Chaillon, interroge «la figure de la femme noire comme objet de fantasmes» à travers la performance de huit comédiennes. La pièce, créée en 2018 puis reprise dans une nouvelle version en 2021 à la Manufacture de Nancy, entend jouer sur les «clichés tenaces, racistes, sexistes», comme le précise la note d’intention. Le registre est celui de «l'humour baroque, pour bouleverser nos repères le détournement carnavalesque et surtout faire sororité». Les spectateurs sont avertis : «certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du public».
Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Au début du spectacle, les comédiens invitent les femmes noires du public à prendre place sur des canapés tandis que les autres spectateurs sont installés sur les gradins habituels. Rébecca Chaillon, d'origine martiniquaise, incarne une employée de ménage, qui se livre à un nettoyage frénétique du plateau blanc. Ensuite, la metteuse en scène se dénude et les autres performeuses lui font d'énormes tresses qu'elle gardera jusqu'à la fin du spectacle. Le public est interpellé, parfois vertement ; les noms d’oiseaux peuvent voler.
Au cours de la pièce, le public est invité à participer à un jeu, façon Questions pour un champion, témoigne une spectatrice qui a assisté à la représentation du 21 juillet. Puis, dans une autre séquence, les comédiennes cherchent à s’emparer des sacs des spectateurs. «Un homme d’une soixantaine d’années a refusé et l’actrice s’est mise à le tutoyer, raconte cette habituée du festival. Elle lui a redemandé son sac avec plus d’insistance. “Ça fait deux heures que tu te fais chier, tu n’as rien compris, donne-moi ton sac”, lui a-t-elle lancé. La comédienne a ensuite pris le public à partie. Certains spectateurs se sont levés quitter la salle, tandis que les autres leur criaient “Les fachos s’en vont”.» Selon Sceneweb, site spécialisé dans le spectacle vivant, la même scène, impliquant un sexagénaire récalcitrant, s’est déroulée à la représentation du 24 juillet, trois jours plus tard.
Le spectacle comporte une autre scène marquante, celle dans laquelle «une nounou empale sur un pieu qui lui traverse le corps tous les enfants français qu'on lui confie», comme le rapporte le site de spectacle vivant Sceneweb. Cette seule image a suscité une polémique, certains y voyant une manifestation raciste anti-blanc.
Débordant les réseaux sociaux, l’affaire a pris un tour nouveau mercredi avec un communiqué de la direction du festival. «Depuis le 20 juillet 2023 à Avignon, les interprètes de Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, spectacle théâtral et performatif qui pose la question de la place des femmes afrodescendantes dans la société française, font face lors des représentations mais aussi dans les rues à des agressions verbales et physiques à caractère raciste, précise les organisateurs. Le Festival d'Avignon affirme qu'il est inacceptable de laisser sous silence ces déferlements de haine et témoigne de sa solidarité et de son soutien aux artistes.»
Carte noire nommée désir, dont la dernière représentation a été donnée mardi à Avignon, va être repris à Paris à partir du 28 novembre par le théâtre de l'Odéon, qui a également dénoncé les «agressions verbales et physiques» dont ont été victimes les artistes.
Source: Le Figaro