Turquie : le vague à l’âme des ultranationalistes menace un peu plus les chances de réélection du président Erdogan

May 06, 2023
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Monument commémoratif du tremblement de terre de Gölcük (Turquie), survenu le 17 août 1999. Ici, le 26 avril 2023. EDOUARD CAUPEIL / PASCO POUR « LE MONDE »

Difficile d’imaginer endroit plus triste que cette étroite jetée de pierres, fouettée par les vents gris et les eaux polluées des usines alentour. Ici, à l’extrême pointe de Gölcük, cité portuaire perdue dans l’interminable coulée urbaine d’Istanbul, entre Kocaeli et Bursa – deux des principaux fiefs électoraux du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation du président Recep Tayyip Erdogan –, la pluie n’est pas la seule raison de l’ambiance désolée. Aucune affiche, pas de panneau de campagne. Les élections générales du 14 mai qui enflamment la Turquie semblent à des années-lumière.

Planté là, tout en aplomb, un obélisque de marbre noir est érigé à la mémoire d’un des événements les plus tragiques de l’histoire turque. Le gigantesque tremblement de terre du 17 août 1999 a eu lieu ici même, affectant toute la région, avec pour épicentre Gölcük, située sur cette longue faille anatolienne qui tient entre parenthèses le pays d’ouest en est, puis vers le sud jusqu’à la province du Hatay. La catastrophe avait entraîné la mort de plus de 17 000 personnes, selon les données officielles ; un chiffre longtemps minoré par les dirigeants de l’époque et encore aujourd’hui largement sous-estimé, selon la plupart des témoins sur place.

Terrible ironie du destin, le séisme avait été l’un des marchepieds vers le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, l’actuel chef de l’Etat. A peine sorti de prison, trois semaines auparavant, après avoir purgé une peine pour avoir repris une citation d’un poète nationaliste, l’ancien maire d’Istanbul n’avait alors cessé de critiquer les dirigeants pour leur impréparation, imputant tous les maux dont souffrait le pays à la corruption généralisée et aux institutions éloignées des préoccupations de la population. Des critiques aujourd’hui reprises quasi à l’identique par l’opposition contre le pouvoir en place depuis le tremblement de terre dévastateur du 6 février à Maras et Hatay, et dont le bilan s’élève à plus de 50 000 morts.

Sur le marbre du monument est inscrite une injonction contre l’oubli, un appel à ne pas effacer des mémoires les « martyrs » de la catastrophe de 1999. Le terme utilisé est fort. En turc, les sehitleri portent une connotation toute particulière, lourdement chargée de sens religieux et de symbole politique. Les policiers, soldats et civils turcs tombés sous les balles des putschistes du 15 juillet 2016 ont été nommés de la sorte par la phraséologie officielle. Systématiquement, les soldats morts au combat dans les affrontements avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) obtiennent ce statut de sehit. Une distinction qu’octroient également les islamistes radicaux pour ceux qui tuent les « mécréants ».

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Source: Le Monde